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dans cette société nouvelle, où la nation, cherchant son salut en elle-même, reprenait pour elle seule le droit d’enregistrement, et le décret du 7 septembre 1790 le fit disparaître, sans qu’une seule voix s’élevât pour le défendre.

Ce corps illustre a sans doute commis bien des fautes, et son histoire est pleine de contradictions qui justifient quelques-uns des reproches auxquels il a donné lieu. Il s’est fait le défenseur des erreurs traditionnelles relatives à la culture, à l’alimentation publique, à l’industrie, au prêt à intérêt, aux lois somptuaires ; la liberté de la pensée l’effrayait comme un danger social, et il l’a mise hors la loi, dans l’université, dont il était devenu en 1445 le législateur suprême, dans le théâtre, qu’il a frappé à certaines époques d’une interdiction absolue, dans la littérature, sur laquelle il a exercé une répression tyrannique. Il s’est fait au XVIe siècle le complice des persécutions, mais il a bien racheté sa faiblesse et ses erreurs. Quand la royauté fermait la bouche aux états-généraux, il parlait pour eux, et prenait leur place. En défendant l’autorité judiciaire contre les empiétemens de l’autorité administrative, il a préparé la séparation des pouvoirs. Les lettres de cachet, les attentats contre la liberté individuelle, les juges de tyrannie, la violation des formes légales, n’ont pas eu de plus redoutable adversaire. Il a maintenu les droits de l’état contre Rome, contre les empiétemens du haut et du bas clergé, et, s’il a mis la main à l’encensoir, il l’a fait pour arracher la société civile aux redoutables étreintes de la société ecclésiastique. Dans les questions de finances et d’impôts, il a voulu soustraire la nation au joug de la glèbe fiscale, à la rapacité des traitans, aux catastrophes des banqueroutes, à la ruine et à la misère, et par-dessus tout il a proclamé cette maxime fondamentale du droit public moderne : que les lois, pour être obéies, ont besoin d’une autre sanction que la volonté d’un seul homme. Les principes au nom desquels il a lutté ont reçu de la constituante une consécration solennelle, et cette grande assemblée n’a fait que codifier les remontrances, lorsqu’elle a inséré dans le pacte organique du 14 septembre 1791 ces mémorables articles : « Il n’y a point en France d’autorité supérieure à celle de la loi. Le roi ne règne que par elle, et ce n’est qu’au nom de la loi qu’il peut exiger l’obéissance… La constitution délègue exclusivement au corps législatif le pouvoir d’établir les contributions, d’en déterminer la nature, la quotité, la durée et la perception. » C’est par ce grand côté de son histoire que le parlement malgré ses fautes a droit au respect et à la reconnaissance de la postérité.


CH. LOUANDRE.