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les parlemens du royaume y compris celui de Paris, et le transférait à une cour plénière composée de princes du sang, de pairs du royaume, de grands officiers de la couronne et de douze membres des cours souveraines, tous nommés d’office.

L’institution de la cour plénière provoqua une explosion générale, et l’union des classes se reforma plus menaçante encore. Dans plusieurs provinces, les avocats et les procureurs cessèrent leurs fonctions ; les municipalités, les maîtrises des eaux et forêts, les amirautés rédigèrent des factums d’une extrême violence, en demandant si le roi voulait introduire le despotisme oriental. On rappelait les engagemens les plus solennels foulés aux pieds, les impôts établis ou prolongés illégalement, « la profanation à main armée du sanctuaire de la justice. » Le parlement de Rennes, comme représentant de la nation bretonne, défendit sous peine de mort d’obéir aux nouveaux magistrats ; la Normandie invoqua la grande charte de Louis X qui garantissait à perpétuité le maintien de sa constitution judiciaire. Le gouvernement, qui voyait partout son autorité méconnue, eut recours à l’envoi de commissaires extraordinaires, cette dernière réserve des pouvoirs aux abois. À Rennes, la population les accueillit aux cris de : A bas les exécuteurs de l’injustice ! Le régiment de Rohan entra dans la ville pour les soutenir, baïonnette au fusil. Il fut criblé de pierres, et le sang allait couler, lorsqu’un capitaine, M. de Nouainville, jeta son épée devant la foule, en s’écriant : « Mes amis, ne nous égorgeons pas ; je suis citoyen comme vous. » L’agitation était grande partout, et plus grande encore dans les provinces qu’à Paris. Le clergé suivait le courant ; convoqué en assemblée générale extraordinaire, il envoya au roi, le 13 juin 1788, des remontrances qui ne le cédaient en rien à celles des parlemens : « Le peuple français, disait-il, n’est pas imposable à volonté. Substituer à des corps anciens, dépositaires des lois et de la confiance. publique, une cour unique et dépendante, transporter à des mains étrangères les droits naturels de la nation qui ne les a jamais aliénés, c’est exciter des alarmes et une consternation qu’il est de notre devoir de déposer dans le sein paternel de votre majesté. Les tribunaux sont dans le silence et l’éloignement ; daignez leur rendre une activité sans laquelle la religion du législateur ne peut être éclairée. » Au lieu de céder de bonne grâce devant ces manifestations, Louis XVI essaya d’y mettre un terme, en ordonnant le 28 juin à tous les corps constitués du royaume de suspendre leurs délibérations sur les édits promulgués au dernier lit de justice ; mais bientôt ; effrayé d’une agitation qui ne faisait que grandir, il supprima la cour plénière, trois mois après l’avoir constituée, et