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province furent également supprimés et réorganisés la même année.

Le chancelier Maupeou, qui conduisit cette grave affaire, avait été premier président à Paris. En 1755, il avait signé des remontrances très sévères dont Louis XV s’était montré fort irrité. Devenu ministre, il oublia comme tant d’autres en arrivant au pouvoir ses principes et son passé, et poursuivit avec acharnement la destruction de la compagnie à laquelle il avait appartenu et qu’il avait encouragée dans sa résistance. La nouvelle constitution de la magistrature réalisait des réformes importantes. En abolissant la vénalité, Maupeou pouvait dire avec raison « qu’il rétablissait les tribunaux dans leur dignité première et leur véritable noblesse. » Il en ouvrait l’accès à tous les citoyens ; il défendait aux juges, en leur assurant un traitement fixe, de « prendre des parties aucune rétribution sous le nom d’épices, vacations et autres dénominations quelconques. » Le nombre des ressorts et des appels était diminué, ce qui épargnait aux plaideurs des déplacemens et des frais considérables. La simplification de la procédure complétait les grandes ordonnances de L’Hôpital et de Louis XIV ; mais ces mesures, excellentes au point de vue judiciaire, servaient à masquer un coup d’état. Maupeou voulait mettre la couronne hors de greffe, et, tout en laissant à la nouvelle magistrature le droit de remontrances, il l’entourait de tant de restrictions qu’il en rendait l’exercice complètement illusoire. Les dernières voix qui pouvaient s’élever librement étaient étouffées, et les améliorations, quelque avantageuses qu’elles fussent, ne compensaient pas aux yeux du pays les inconvéniens du silence.

L’indignation fut générale ; on donna comme une flétrissure le nom du ministre au nouveau parlement. La cour des aides, les chambres des comptes des provinces, les chambres de commerce, les bailliages, les élections, un grand nombre de municipalités unirent leurs protestations à celles du parlement. Maupeou, conspué, chansonné, accusé « d’une ambition venimeuse mêlée d’une frénésie de bassesse, » comparé à Séjan, aux maires du palais, au Grand Turc, fit distribuer pour se défendre quatre-vingt-seize brochures, qui toutes lui attirèrent de vertes répliques. Une discussion passionnée s’engagea dans des pamphlets que la police s’efforçait en vain de saisir[1]. « Si votre résistance n’avait pas un terme, avait dit le ministre aux parlementaires, vous ne seriez plus les officiers du roi, mais ses maîtres. » — « Quelle est donc cette résistance ?

  1. Les plus importans de ces pamphlets ont été reproduits dans le recueil intitulé : les Efforts de la liberté et du patriotisme, contre le despotisme du sieur de Maupeou. Londres, 1772-1775, 6 vol. in-8o. Ce recueil est l’un des documens les plus curieux de l’histoire politique du XVIIIe siècle. Il peut donner lieu à bien des rapprochemens entre la dissolution du parlement en 1771 et la dissolution de la chambre des députés en 1877.