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reproduisons textuellement quelques phrases, on ose vous proposer de violer ce qu’il y a de plus sacré sur terre, votre parole royale. On vous représente les lois comme un obstacle qui borne votre puissance, on vous cache qu’elles en assurent la durée. Votre majesté donne à ses peuples l’assurance qu’elle ne veut régner que par les lois et les formes sagement établies dans le royaume ; et cependant, au lieu des lois, c’est une volonté arbitraire et flottante qui dirige tout. On veut forcer la magistrature à abandonner à ses oppresseurs les derniers restes d’une liberté qu’elle ne peut défendre. Le peuple est égaré dans un dédale d’impôts destructeurs dont le nombre s’est tellement accru et s’accroît tellement tous les jours qu’il est presque aussi difficile de les énumérer que de les acquitter. Ces impôts ont ruiné les contribuables, sans enrichir l’état. La paix est aussi redoutable que la guerre. D’immenses richesses, une opulence monstrueuse, ne peuvent assouvir, chez d’infâmes traitans, la soif d’acquérir. Ils insultent à la misère publique, et donnent par leur faste la preuve de leurs malversations. La situation empire chaque jour, et ce n’est plus à la justice du roi, mais à sa pitié que s’adressent ses sujets. »

Ce fier langage n’était que trop justifié. Les parlemens de province citaient à l’appui de leur dire des faits lamentables, et montraient les campagnes dépeuplées par l’émigration, la terre stérilisée par le fisc cessant de produire, comme si le soleil avait cessé de briller, les cultivateurs hors d’état de payer l’impôt, et de nourrir leurs familles. Ce sombre tableau n’était point chargé. Depuis le commencement du règne, la disette avait été permanente. Dans le ressort de Pau, la disparition de l’argent avait forcé les campagnards à revenir aux échanges en nature. En 1739, le duc d’Orléans avait porté au conseil un morceau de pain de fougère, et l’avait posé sur la table en disant : « Sire, voilà ce que vos sujets mangent[1]. » En 1751, les bestiaux étaient si rares que le fournisseur de l’Hôtel-Dieu de Paris ne put se procurer l’approvisionnement de cette maison.

Qu’avait fait le gouvernement pour soulager ces misères ? se demandaient les parlemens, et ils partaient de là pour soumettre à la plus judicieuse critique tout le système de l’impôt, en signaler les vices, dénoncer les malversations, l’impitoyable dureté des commis[2] et montrer que la ruine du trésor et des sujets avait

  1. Mémoires du marquis d’Argenson publiés en 1857, t. II, p. 24.
  2. On peut juger par un seul fait de ce qu’étaient ces commis ramassés par les fermiers généraux et les sous-traitans dans les bas-fonds des grandes villes. De nombreux arrêts du conseil portent que les individus qui se présenteront à la cour des aides pour être reçus commis des fermes le seront sans aucune information de vie et de mœurs.