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publique et la magistrature des provinces le soutenaient avec une grande énergie, mais plus elles insistaient sur la nécessité des réformes, plus Louis XV s’obstinait dans une résistance aveugle. Poussé par les coteries de la cour qui lui représentaient le parlement comme un corps indisciplinable, ennemi déclaré de l’autorité royale, il promulguait en décembre 1760 un édit où il affirmait de nouveau avec aigreur son omnipotence absolue. « Les parlemens, disait-il, élèvent leur autorité à côté et même au-dessus de la nôtre et réduisent notre pouvoir législatif à la seule faculté de leur proposer nos volontés, en se réservant d’en empêcher l’exécution. Ils agissent sous notre nom contre nous-même, et ils ont su faire au peuple une loi de la désobéissance… Nous les avons vus enfanter successivement des idées nouvelles, se livrer plusieurs fois des interruptions et des cessations de service, donner des démissions combinées et nous disputer ensuite le droit de les recevoir… Nous leur défendons de se servir des mots d’unité, d’universalité, de classes, et leur rappelons que nous ne tenons notre couronne que de Dieu. » Le parlement fit des remontrances et reçut du roi une réponse très sèche. Le 4 décembre, il rendit un arrêt contre la réponse ; le roi lui répondit le jour même plus sèchement encore. Le 5 il rendit un nouvel arrêt, et le 7 un lit de justice le contraignit à biffer sur ses registres le texte des remontrances.

Le lit de justice ne fit qu’envenimer la lutte ; elle durait encore lorsque la paix dite honteuse fut signée le 10 avril 1763. Pendant sept ans la nation avait été soumise aux plus durs sacrifices ; elle n’en avait recueilli que des désastres, et, lorsqu’elle espérait des jours meilleurs, elle apprit, par un édit et une déclaration du même mois, que les impôts de guerre, vingtièmes et capitation, étaient prorogés pour plusieurs années au mépris des engagemens les plus formels ; que de nouveaux impôts étaient établis et des doublemens appliqués comme la superindiction romaine à une foule d’anciennes taxes. Louis XV, dans le préambule de l’édit, cherchait à s’excuser, il parlait du soin qu’il avait mis à ne choisir que les impositions les moins onéreuses, en attribuant aux malheurs des temps la nécessité où il se trouvait de faire peser sur ses sujets de nouvelles charges. Aussitôt les parlemens de Paris, de Rouen de Rennes, de Bordeaux, de Toulouse, de Provence, de Franche-Comté, la cour des aides, les chambres des comptes jetèrent le cri d’alarme et dressèrent contre le roi un véritable acte d’accusation : « Sire, disaient-ils dans leurs remontrances[1] dont nous

  1. En voici l’indication : Paris, 27 novembre 1755 ; 3 septembre 1759, 17 décembre 1763 ; 16 janvier 1764. — Rouen, 6 novembre 1753 ; 4 mai 1763 ; 16 juillet 1763 — Rennes, 30 décembre 1763 ; 12 janvier 1764. — Grenoble, 17 août 1763. — Toulouse, avril et 22 décembre 1673. — Pau, 17 août 1763. — Aix, 9 janvier 1764. — Conseil souverain du Roussillon, 16 août 1753. — La plupart de ces remontrances sont à peine mentionnées par les historiens modernes. Elles ont toutes été imprimées, et nous avons eu le hasard d’en trouver une collection à peu près complète.