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l’origine de l’inégalité parmi les hommes, le Contrat social, le Tableau économique, c’est-à-dire durant la période qui s’étend de 1752 à 1765. Complice inconscient des philosophes dont il faisait brûler les livres, il encourageait par son exemple « le fanatisme contre l’autorité du roi, qui était, dit Barbier, général dans Paris, » et ralliait dans une opposition commune « tous ceux de la secte janséniste ou un peu républicains. » Un abîme de jour en jour plus profond se creusait entre la couronne et la nation, lorsque la guerre de sept ans vint l’approfondir encore.

Un édit de mai 1749 avait créé une caisse d’amortissement ; un nouvel édit du 7 juillet 1756 en confirma l’existence. Elle devait recevoir une somme annuelle de 44 millions ; mais les millions prirent une autre route. Des impôts onéreux furent établis. Les traitans profitèrent du prétexte de la guerre pour pressurer indignement les contribuables et voler sur un seul bail des fermes 74 millions. On acceptait sans trop se plaindre les sacrifices nécessités par les besoins réels et prouvés de l’état ; mais on ne voulait pas des dépenses « qui entretenaient la mollesse et la volupté[1] ; » on ne reconnaissait pas à Louis XV le droit de disposer de la fortune publique comme d’une propriété privée. Les provinces, qui supportaient des charges énormes, sans profiter comme Paris des vices et du luxe d’une société corrompue et prodigue, éclataient en murmures. — Leurs parlemens multipliaient les remontrances : « Le royaume le plus florissant de l’univers, disaient-ils, penche vers sa chute… Les maux sont à leur comble et présagent l’avenir le plus effrayant[2]. La progression des impôts est poussée à un tel excès qu’elle ne peut avoir de terme que la destruction de la monarchie. » En 1756, ils formèrent, comme au temps de Mazarin, sous le nom d’union des classes, une alliance offensive et défensive avec le parlement de Paris, parce qu’ils se regardaient tous comme les membres d’un seul et même corps, dont ce parlement était la tête, de même que la tour du Louvre était au moyen âge le chef souverain de tous les fiefs du royaume. La ligue et la fronde renaissaient sous une nouvelle forme, mais dégagées de l’alliance compromettante des ambitions princières et des passions religieuses. La monarchie devait en ressentir un ébranlement profond[3] ; mais à qui la faute ?


  1. Parlement de Rouen, remontrances du 4 mai 1760.
  2. Parlement de Rennes, remontrances du 17 août 1753 et Parlement de Grenoble, 17 août 1763.
  3. Les contemporains ne s’y trompaient pas ; l’avocat Barbier, écho fidèle des bruits de son temps, écrivait : « Si l’on parvient à diminuer l’autorité des parlerions et leurs prétendus droits, il n’y aura plus d’obstacles à un despotisme assuré. Si, au contraire, ils s’unissant pour s’y opposer par des fortes démarches, cela ne peut être suivi que d’une révolution dans l’état. »