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milliards. Les mutations d’immeubles sont donc particulièrement grevées d’un droit excessif. On en cherche en vain la raison.

Quand on établit un impôt, il faudrait autant que possible l’associer au progrès de la richesse ; c’est là ce qui en fait la légitimité. L’état peut dire au contribuable : C’est sous ma protection et avec mon concours que le progrès dont vous profitez a eu lieu ; j’en viens réclamer ma part. Il n’en est pas ainsi avec les droits d’enregistrement. On ne peut pas dire d’une façon absolue que plus il y a d’actes enregistrés, plus il y a de richesse ; c’est souvent le contraire qui arrive. Ainsi on remarque que dans les années calamiteuses traversées par la disette, la guerre et les révolutions, où il y a beaucoup de poursuites en expropriation, les recettes de l’enregistrement augmentent plutôt qu’elles ne diminuent. Les mutations d’immeubles à titre volontaire même qui ont lieu dans ces années-là sont loin d’être un signe de richesse. Pour quels motifs donc a-t-on porté les droits à un taux aussi élevé ? Nous n’en connaissons pas d’autres que ceux qui inspirent les souverains dans les états barbares lorsqu’ils ont besoin d’argent. Un pacha, dit Volney dans son Voyage en Égypte et en Syrie, voit un individu planter un arbre ou bâtir une maison, il le fait venir et lui dit : « Tu as de l’argent, puisque tu plantes et que tu bâtis ; tu vas m’en donner une part, » et il n’ajoute rien de plus. Le fisc, dans un pays civilisé comme le nôtre, n’agit pas autrement avec le droit de mutation. Il voit un individu qui vend un immeuble et un autre qui l’achète, il se dit qu’il y aura de l’argent échangé, et il en demande sa part, sans examiner s’il y a droit ou non. Qu’en résulte-t-il ? Qu’en Orient on ne plante ni ne bâtit, pour ne pas avoir à faire la part du pacha ; on enfouit son argent, et le pays reste stérile. Chez nous, on n’enfouit pas son argent, parce qu’on a d’autres moyens de l’utiliser ; mais on se garde bien, autant qu’on le peut, d’acheter des immeubles : d’abord pour ne pas payer le droit excessif auquel l’acquisition est soumise, et ensuite parce qu’à cause de ce même droit on aurait de la peine à s’en défaire plus tard.

Il n’y a aucun pays où, l’impôt de mutation soit aussi élevé qu’en France ; il est de 1/2 pour 100 en Angleterre, de 1 pour 100 en Prusse, de 2 et 3 pour 100 ailleurs. L’administration a si bien senti que le droit de transmission à 6,60 était excessif qu’elle l’a diminué des deux tiers en ce qui concerne les aliénations du domaine public, des forêts de l’état par exemple. Pourquoi cette distinction ? Pourquoi ce qui est bon pour l’état ne le serait-il pas pour les particuliers ? D’ailleurs le fisc n’y perdrait rien. Nous ne craignons pas de dire qu’avec une réduction de moitié dans le droit et un allégement sensible dans les frais accessoires, les transactions sur