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successions exemptes de charges : toutes ou la plupart se présenteraient en accusant un passif plus ou moins considérable, sans qu’il fût possible de distinguer les dettes réelles des dettes fictives. Cette objection a toujours prévalu. Quelque grave qu’elle soit, elle ne peut pas servir à consacrer une immense injustice. Quoi ! une succession sera obérée au point de laisser un actif insignifiant, juste assez élevé pour empêcher l’héritier d’y renoncer, cet héritier offrira d’en faire la preuve, et on refusera, parce qu’il paraîtra plus commode, pour éviter toute difficulté, de ne tenir aucun compte des dettes ! Alors ce n’est plus 8 ou 10 pour 100 qu’on prélève, c’est souvent 18 ou 20 ; c’est une véritable expropriation qu’on opère, et pourquoi ? pour favoriser le repos et la tranquillité des agens du fisc. On aura beau dire, la conscience publique se révoltera toujours contre une pareille iniquité, et n’admettra jamais qu’on doive payer sur une succession chargée de dettes comme sur une autre qui n’en a pas.

Il en résulte dans l’application des choses assez singulières. Une succession de 100,000 francs s’ouvre, elle est grevée de 50,000 francs de dettes hypothécaires, on paie le droit comme si la dette n’existait pas. À quelques jours de là, le créancier des 50,000 francs vient lui-même à mourir, on porte la créance à l’actif de sa succession et on exige encore le droit, de sorte que le fisc aura reçu deux fois pour la même créance, la première fois en refusant de la reconnaître au passif d’une succession, la seconde en l’admettant à l’actif de l’autre. Il y a pourtant là quelque chose de contradictoire qui choque la raison et la justice. Est-il donc impossible de se mettre à l’abri de la fraude ? Un ancien chef de division de l’administration même de l’enregistrement, M. Abel Lemercier, indiquait, dans une brochure qui a paru en 1867, un moyen qui ne manquerait peut-être pas d’efficacité. Lorsqu’un héritier déclarant une succession, disait-il, produirait le titre d’une dette enregistrée, contractée envers des tiers et non échue avant le décès, affirmant qu’elle n’est pas éteinte et qu’il la reconnaît parfaitement, cette déclaration pourrait faire foi contre lui devant. les tribunaux. En sens inverse, lorsque l’héritier d’une succession au profit de laquelle une créance aurait existé viendrait déclarer qu’elle n’existe plus et qu’elle a été payée avant le décès, on pourrait se servir également de cette déclaration pour faire preuve de la libération. — Enfin, si ces moyens ne suffisaient pas, il faudrait en chercher d’autres, car le procédé actuel est inique, quelque peu odieux, et il n’est même pas démontré qu’il enrichisse beaucoup le fisc. En effet, l’héritier qui est en face d’une injustice aussi grande dérobe tout ce qu’il peut aux regards du trésor pour