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Autrefois beaucoup d’actes échappaient à l’enregistrement ; ils y étaient bien soumis en vertu de la loi et n’avaient d’effet en justice qu’après avoir rempli cette formalité, mais on se contentait de les faire enregistrer en cas de réclamation, en payant un simple ou un double droit, et il n’y avait pas d’autre sanction. Aujourd’hui la sanction est plus forte : tous les actes susceptibles d’être enregistrés, et qui ne le sont pas dans un délai déterminé, sont passibles d’une amende tellement considérable que personne ne s’expose à l’encourir ; tous les actes sont enregistrés. Ce devrait être une raison pour que le droit fût plus modéré. Il n’en est pas ainsi dans la plupart des cas. D’abord cette taxe est trop compliquée, elle présente un véritable dédale dans lequel on se perd, et donne lieu à des discussions sans nombre entre les contribuables et le fisc. Beaucoup d’hommes d’affaires et de gens de loi ne sont occupés qu’à détourner le sens des actes pour les soustraire à l’application du droit le plus rigoureux. On a calculé qu’il y avait plus de deux cents dispositions légales régissant la matière. Cette multiplicité est assurément un grave inconvénient.

Quant à l’impôt en lui-même, il est, je le répète, souvent trop élevé. Je n’entrerai pas dans le détail des cas où s’appliquent le droit fixe et le droit proportionnel, je prendrai tout de suite ce qu’il y a de plus saillant dans l’application du droit proportionnel, et choisirai un impôt qui rencontre peu d’opposition : je veux parler de celui de succession. On trouve généralement qu’il est bien établi, parfaitement légitime, et on serait plutôt disposé à l’augmenter qu’à l’abaisser. Il est perçu à un moment très favorable, lorsqu’on réalise une augmentation de fortune. Puis, comment l’héritage arrive-t-il ? Il arrive par la consécration en votre faveur du droit que possédait l’ancien propriétaire ; c’est une espèce d’investiture qui vous est donnée par l’état, il est naturel que celui-ci la fasse payer et qu’il en demande même un prix assez élevé. Voilà le raisonnement qu’on fait pour justifier cet impôt. On comprend ce langage dans la bouche de ceux qui considèrent le droit de propriété comme émanant de la loi seule ; c’est le législateur qui l’a établi, disent-ils, en vue de certaines considérations sociales ; il est le maître d’y mettre des conditions, et, s’il exige 9 et 10 pour 100 pour la transmission d’un héritage, on n’a pas à se plaindre, il pourrait demander plus. — Si on se place à un autre point de vue, si on croit que le droit de propriété ne dérive pas de la loi seule, qu’il lui est antérieur et supérieur, qu’il est comme le fondement sur lequel reposent les sociétés, alors les prétentions du fisc deviennent contestables, et on peut les trouver injustes, si elles sont exagérées. Cette question du droit de propriété a été beaucoup discutée dans tous les temps, elle l’est encore beaucoup aujourd’hui.