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il ne faut point disputer. Mais qu’auraient été alors les ressources et le crédit de la France, si la Banque avait été enlevée par les hommes de la commune ? et elle l’eût été, sans aucun doute, si elle n’eût consenti à abandonner les sommes qu’on lui demandait, et ces sommes elle ne s’est résolue à les livrer, qu’après avoir reçu la promesse que l’état les lui rembourserait. C’est ce qu’il ne faut jamais oublier lorsque l’on parle avec orgueil de notre richesse. Le meilleur de cette richesse était à la Banque ; si celle-ci avait été dévalisée, la France faisait banqueroute. Cela valait bien que l’on ne manquât pas aux engagemens spontanément consentis vis-à-vis d’elle. Mieux que tant d’autres, elle a, dans ces jours douloureux, bien mérité de la patrie, et nulle récompense collective n’est venue lui prouver que la France ne l’ignorait pas. Lorsque dans une bataille un régiment a enlevé un étendard ennemi, on décore le drapeau. Le 19 juin 1859, après Magenta, quand le maréchal Mac-Mahon décora le drapeau du 2e zouaves, il était tellement ému qu’il ne pouvait parler. Le drapeau de la Banque, qui pas une seule minute n’a été remplacé par le haillon rouge, était digne de cette distinction, et le jour où il a été relevé, en présence du petit bataillon sacré qui l’avait gardé intact, emblème du crédit qu’il avait eu à défendre, on aurait dû lui attacher à la cravate la croix de la Légion d’honneur.

On m’a dit qu’éclairée par l’expérience la Banque s’était mise en mesure de ne plus s’exposer aux avanies et aux périls dont elle a été atteinte pendant les journées de la commune et qu’elle pouvait désormais évacuer son encaisse, métallique ou fiduciaire, avec une rapidité vraiment féerique. Toutes les dispositions sont prises ; à la première alerte, les caisses, les serres et les caves seraient vides. Quels moyens la science a-t-elle mis aux ordres de la Banque ? C’est là un secret qu’il me sera d’autant plus facile de ne pas divulguer que je ne le connais pas. Dorénavant du moins l’état n’aura plus à refuser de rembourser des réquisitions forcées, puisque l’on n’en pourra faire en présence de coffres dégarnis ; la Banque n’aura plus à sauver Paris du pillage, et elle n’aura plus à supporter une perte de quelques millions, sous le prétexte mal choisi que ceux-ci représentent pour elle une sorte de caution ou de prime d’assurance.

J’ai parlé d’ingratitude ; on n’en a pas seulement témoigné à l’institution financière elle-même, on en a témoigné aux hommes qui l’avaient dirigée pendant la guerre et pendant la commune, à ceux qui, sans compter, s’étaient offerts à la France, à ceux dont les prudens sacrifices avaient évité un désastre. Dès le 8 juin 1871, M. Rouland est remplacé au gouvernement de la Banque par M. Ernest Picard. On se rappelle l’impression produite alors par ce fait