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l’on ne savait jamais, au début, s’il fallait rire ou pleurer d’avoir à le subir ? Certes un tel tour de force méritait quelques égards, car jusqu’à la dernière minute, jusqu’au refuge suprême de la rue Haxo, Jourde avait apporté leur pitance à tous ces gens-là. Il ne se doutait guère, pendant qu’il était en prison ou à Nouméa, de ce que ses anciens complices avaient dit de lui ; il eut tout le loisir de l’apprendre en arrivant à Genève.

Un drôle de la pire espèce, incapable de tout sentiment qui ne serait pas naturellement bas, Vermesch, dont le rêve avait été d’être à Rossel ce que Talleyrand fut à Napoléon Ier, aussitôt qu’il fut parvenu à Londres, après la chute de la commune, s’était empressé de publier un de ces journaux immondes qua Jean-Jacques Rousseau désignait d’un nom que nous n’osons répéter. Cette feuille, trempée de venin et rédigée par une vipère, s’appelait le Qui-vive. Vermesch, qui, dans son Père Duchêne, avait dénoncé tout le monde et surexcité jusqu’à la folie les penchans vicieux des hébertistes, continuait le même métier parmi la bande d’assassins, d’incendiaires réfugiés loin de l’action des lois françaises et qui s’appelle orgueilleusement : la proscription. Poursuivant de sa haine ceux qui n’avaient pas su tout tuer, tout brûler, il disait : « Nous ne sommes ici, et six ou sept mille hommes du peuple ne sont à Nouméa et à l’île des Pins, que par la faute de ceux qui sollicitèrent les premiers postes de la cité, sans avoir aucune des qualités nécessaires pour les remplir. Nous payons tous pour leur sottise, et le sang de trente mille fusillés des journées de mai retombera éternellement sur leur tête. » — Je dis ici incidemment que le nombre des morts pendant les journées de mai, y compris les tués, les fusillés, les insurgés, les soldats, les otages, les malades à domicile, les malades des hôpitaux, tous les décès, en un mot, pour Paris, du 21 au 30 mai, s’élève exactement au chiffre de 6,667. — De tous les fonctionnaires de la commune, Jourde, alors condamné, détenu, ou déporté, fut celui que Vermesch attaqua avec le plus d’acrimonie. Pendant le mois de novembre 1871, le Qui-vive s’acharne à baver sur l’ancien délégué aux finances. Le Basile de la commune n’a point assez de calomnies pour lui, et il arrive, sans effort, à dépasser en hideux et en grotesque ce que Marat a fait de mieux en ce genre. D’après ce Vermesch, François Jourde a volontairement trahi le peuple de Paris, au profit du gouvernement de Versailles, et M. Thiers, en reconnaissance des services rendus, le destinait à remplacer à la préfecture de police le général Valentin, démissionnaire. Tout ceci est agrémenté des épithètes de lâche, de gredin, de mouchard et d’agent versaillais. Jourde fut très affecté de ce torrent d’injures, derrière lequel il croyait voir l’opinion