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d’arborer, dès le 22 mai, aussitôt que leur quartier était occupé par les troupes françaises.

Conduit au poste et interrogé, il montra avec assurance ses papiers d’identité simulée. Il soutenait qu’il se nommait Roux et qu’il demeurait rue du Bac ; on envoya chercher le portier de la maison qu’il prétendait habiter ; le portier ne le reconnut pas. L’affaire se gâtait. Jourde était alors âgé de vingt-huit ans ; l’étude des hommes n’avait point encore mûri son expérience, et il donna une grande preuve de jeunesse en se réclamant de son ancien maître de pension. Celui-ci vint, poussa quelques lamentations, et le dénonça. Jourde se crut perdu, réservé à être tout de suite passé par les armes ; il n’eut point de faiblesse, il remit immédiatement l’argent qu’il avait en poche, ne gardant que 120 francs qui lui appartenaient. Quelques instans après son arrestation, l’ordre fut envoyé à tous les chefs de corps, par le maréchal duc de Magenta, de ne plus procéder à aucune exécution. C’est ce qui le sauva. Après avoir été dirigé sur le ministère des affaires étrangères, où il subit un long interrogatoire, il fut « ligotté » et mené à l’ergastule du Luxembourg. Il fut compris dans le procès fait aux membres arrêtés de la commune et comparut à Versailles devant le 3e conseil de guerre. Du 7 août au 3 septembre 1871, Jourde, en compagnie de ses coaccusés, resta sur la sellette. Son attitude fut remarquée : c’était peut-être celle d’un coupable, à coup sûr ce n’était pas celle d’un criminel ; elle ne ressemblait en rien à celle des seize autres individus que l’on jugeait en même temps que lui. En relisant ces longs débats, on reste frappé d’un fait important. Jourde s’occupe à peine de la commune et du comité central ; il ne parle ni des massacres ni des incendies, que nul du reste ne songe à lui reprocher ; ce n’est ni un homme politique, ni un socialiste, ni un conspirateur qui se défend, c’est un comptable qui fait effort pour prouver, et qui prouve, que ses comptes sont en balance et que sa probité est à l’abri du soupçon. Tout lui semble indifférent, pourvu que ses additions soient reconnues exactes et que l’on ne puisse élever de doute sur son honorabilité professionnelle. Au cours du procès, l’on apprit que, pendant toute la durée de la commune, alors qu’il était au pouvoir, sa femme, — sa maîtresse, — avait continué à aller simplement blanchir le linge au lavoir public, que son enfant avait été envoyé à l’école gratuite, et que lui-même prenait ses repas dans un humble restaurant de la rue de Luxembourg. Le restaurateur présenta une facture justificative ; du 16 avril au 22 mai, Jourde, pour ses déjeuners et ses dîners, avait dépensé 224 francs. Les viveurs de l’Hôtel de Ville et de la préfecture de police qui, assis sur les bancs du conseil de guerre, ont écouté cette déposition,