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il y a un double, dit M. Rouland, où est-il ? — A la Caisse des dépôts et consignations. » M. Rouland fit immédiatement appeler M. Chazal, le contrôleur, et lui dit : « Allez vite, je vous prie, à la Caisse des dépôts et consignations ; voyez si le double du grand-livre peut être sauvé et prenez toute mesure pour le soustraire à l’incendie, s’il en est encore temps. » M. Chazal ne se le fit pas répéter ; une compagnie de soldats du génie, appartenant au bataillon du commandant Peaucellier, était dans la cour de la Banque, il l’entraîna avec lui et partit pour le quai d’Orsay[1].

Heureusement « le grand-livre » lui-même, qui occupait le second étage du ministère des finances, n’avait pas été consumé ; du moins, la portion représentant la dette inscrite actuelle avait pu être arrachée aux flammes, grâce au dévoûment extraordinaire du personnel, — employés et garçons de bureau, — resté à son poste. Dix mille registres environ, formant ce que l’on pourrait appeler la partie historique de la dette publique, furent dévorés par le feu, car on s’empressa naturellement de sauver d’abord les forts cahiers cartonnés, comprenant chacun mille noms des créanciers de l’état pour les émissions en cours aujourd’hui. C’était une masse de quatre mille registres que l’on enleva du milieu des brasiers à travers des dangers et des difficultés qui auraient pu paraître insurmontables à tout autre qu’à des gens dévoués jusqu’au sacrifice d’eux-mêmes. Les autres, enveloppés par l’incendie, laissèrent échapper leurs feuillets rongés par le feu, qui, sur l’aile du vent, allèrent apprendre aux départemens voisins que Paris brûlait. D’après la loi du 24 août 1793, un double des registres de la dette inscrite doit être fait sur fiches volantes et nominatives ; ce double, par une sage précaution, ne peut jamais être déposé dans le local qui contient le grand-livre, afin de diminuer les chances de destruction. — Le double du grand-livre a été longtemps placé, rue Neuve-de-Luxembourg, dans l’ancien couvent des Haudriettes réformées, auquel l’Assomption servait jadis de chapelle. Lorsque, sous le second empire, il fut question de prendre tout le massif de constructions entouré par les rues Saint-Honoré, Luxembourg, Mondovi et Rivoli pour y établir l’Hôtel des Postes qui, encore à cette heure, fait absolument défaut à Paris, le double, comme l’on dit en langage administratif, fut transporté à la caisse des dépôts et consignations, où il fut installé sous la surveillance immédiate d’un fonctionnaire appartenant au ministère des finances. C’est ce double qu’il s’agissait de préserver, s’il se pouvait, de l’action des flammes.

  1. Dans les jours qui suivirent le 4 septembre, une députation se présenta à l’Hôtel de Ville et demanda, comme mesure urgente de salut, que l’on jetât au feu le livre de la dette inscrite. Henri Rochefort répondit assez spirituellement à l’orateur, et ajourna toute mesure de ce genre jusqu’à la fin de la guerre.