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négociations avec les Européens, qui ne sauraient que faire du papier-monnaie garanti par le mikado. Il faudrait, pour remédier à cette difficulté, chaque année plus grave, trouver une nouvelle source de richesse et un nouvel objet d’échange, ou apprendre à se passer des Européens en fabriquant sur place les objets manufacturés qu’on leur demande ; ce sont les deux moyens auxquels on a recours par l’exploitation des mines et la création de plusieurs industries nationales. Mais les mines semblent infiniment moins riches qu’on ne l’avait cru, et peu d’entre elles sont en état, quant à présent, de donner des produits rémunérateurs[1] ; quant aux industries nouvelles, elles ne peuvent fonctionner qu’en ayant recours à l’Europe pour leurs agencemens et leurs mécanismes, aux ingénieurs étrangers pour leur direction, et elles ne fonctionnent qu’à perte. Le Japon peut, il est vrai, fabriquer aujourd’hui des canons et frapper des yen (piastres de 6 francs), mais il gagnerait à acheter se » batteries au Creuzot et à faire frapper sa monnaie à San-Francisco. Il est en un mot hors d’état de tenir tête à l’Europe et de résister à la concurrence du bon marché qu’elle lui oppose.

A ces maladies économiques, il se trouve toujours des médecins de bonne volonté qui proposent leur remède empirique, et l’idée de garantir les produits indigènes par un système protecteur n’a pas manqué de partisans. Mais ce n’est pas alors qu’il se lance dans les nouveautés qu’il sied au Japon de s’encombrer de cette vieillerie jugée et rejetée par l’Europe : il lui serait beaucoup plus profitable d’accepter franchement la loi naturelle de l’échange, et, laissant de côté des industries qu’il ne peut acclimater chez lui, de développer la seule qui lui convienne, l’agriculture, pour acheter au dehors ce qu’il ne fabriquera jamais à bon compte. Quant aux vieilles industries nationales, telles que la laque, la porcelaine, les tissus de soie, le bronze, leur premier élément de succès est une originalité de conception et un fini d’exécution qui diminuent chaque jour et risquent de se perdre. Ce n’est pas en effet impunément qu’on passe de la culture des arts aux préoccupations mercantiles, et du souci exclusif du mérite esthétique au calcul des profits et du rendement. Le goût s’altère, la précipitation engendre la négligence du détail et une médiocrité insupportable dans des articles de luxe.

Le contact étranger a déterminé au Japon une révolution économique dont il est difficile de calculer dès à présent les dernières conséquences, mais dont on peut dire qu’elle a déjà bouleversé le pays ; Institutions politiques, classifications sociales, mœurs,

  1. Nous aurons occasion d’entrer à ce sujet dans quelques détails à ce sujet des documens fournis sans doute par la section compétente de l’exposition.