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aucune négociation, et c’est le parti que prennent tous ceux qui peuvent faire face à leurs frais généraux. Les autres essaient de liquider. Rien ne peut donner une preuve plus manifeste de l’état d’inertie du marché que la suppression récente de l’agence du Comptoir d’es compte à Yokohama. L’état général des diverses branches du commerce est loin d’être satisfaisant. L’Europe a concentré sur ce pays trop d’efforts pour ne pas se ressentir dans une certaine mesure de sa prospérité ou de sa détresse, et l’étude des intérêts européens appelle nécessairement l’examen des causes qui modifient la situation commerciale du Japon.

Indiquons d’abord celles qui sautent aux yeux. La première est l’encombrement du marché par un stock énorme de produits européens qui grossit sans cesse, les fabricans ne pouvant se résoudre à arrêter leurs ateliers et expédiant toujours sans savoir s’ils vendront. Le pays est pauvre, le nombre des acheteurs est limité à la population des villes, et, quoique séduits par toutes nos nouveautés, les Japonais, obligés de serrer les cordons de leur bourse, les regardent d’un œil d’envie sans les acheter. Quelques anciens daïmios consacrant leurs rentes à des fantaisies exotiques ne sont pas une clientèle, et le peuple ne peut aborder que des articles d’un extrême bon marché. Si du moins on pouvait remporter et rembarquer les marchandises refusées pour les offrir ailleurs ! Mais elles ont supporté en entrant des droits de douane qui s’élèvent à 5 pour 100 sur les bois, le charbon, les machines à vapeur, le zinc, le plomb, l’étain, les étoffes de coton et de laine, à 35 pour 100 sur les liqueurs enivrantes et 20 pour 100 sur tous les autres objets. A la sortie, elles subiront encore un droit de 5 pour 100. Ce n’est pas ainsi grevées qu’elles pourront affronter les hasards d’un autre débouché. Le remède consisterait à introduire l’usage du drawback à la douane japonaise et à restituer au réexportateur le droit perçu à l’importation. Mais il faudrait pour cela le consentement du gouvernement, qui ne se prête pas à cette modification des traités, trouvant sans doute, avec plus de raison apparente que de sagesse réelle, qu’il n’y a pas d’inconvénient pour lui à voir se multiplier les offres au-delà de ses demandes.

La seconde cause de marasme est l’incapacité où se trouve le Japon de produire assez pour faire face à la demande européenne. Tandis qu’on lui offre plus qu’il ne peut consommer, il ne peut vendre de quoi payer sa dépense annuelle, solde la différence à son détriment en espèces et se ruine. « Un pays, dit Montesquieu, qui envoie toujours moins de marchandises qu’il n’en reçoit se met lui-même en équilibre en s’appauvrissant : il recevra toujours moins, jusqu’à ce que, dans une pauvreté extrême, il ne reçoive plus rien. » L’absence de numéraire est une gêne considérable dans les