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les conditions réelles du marché, il subit celles que lui font les décrets, les courtiers et les accapareurs. En effet, malgré les stipulations contraires des traités, le gouvernement se croit en droit d’arrêter ou de restreindre la vente de certains produits, pour le plus grand bien des industries sans doute et pour empêcher les prix de s’avilir, mais au grand embarras des industriels qui se trouvent gênés pour l’écoulement de leur production. D’autre part, les courtiers font aisément la loi aux habitans de l’intérieur, qui ne peuvent sans de grandes dépenses venir à Yokohama faire eux-mêmes leurs affaires. Enfin des sociétés indigènes se sont formées, avec l’encouragement du cabinet, dans le dessein d’accaparer certaines denrées et de s’interposer entre le vendeur et l’acheteur pour leur dicter des conditions factices. Ces corporations font main-basse sur tous les arrivages de l’intérieur : en vain le paysan essaierait de se soustraire à leur pression, il est assailli de conseils, aidé parfois de secours pécuniaires et devient l’homme-lige de la « guilde. » De tels procédés sont la mort du commerce sur lequel ils s’exercent, mais il s’en faut que les Japonais aient compris encore le dogme de la liberté en pareille matière ; quand ils ont tiré d’un homme une corvée et d’une industrie florissante une taxe, ils croient avoir fait merveille. Il leur a toujours manqué, parmi leurs ministres, un économiste qui sût se détacher des préjugés répandus, rompre avec la tradition des pots-de-vin et débarrasser le commerce des entraves qui en paralysent l’essor. Celui-là ferait plus pour son pays en quelques années que ne saurait faire en un demi-siècle la politique opposée.

Ces difficultés ne sont pas les seules que rencontre le trafic international. S’il n’existe ni tarifs élevés de douanes, ni droits de transit dans l’intérieur, comme en Chine, l’instabilité de la plupart des maisons japonaises constitue un grand désavantage. C’est en vain que pour traiter avec sécurité on leur demanderait des hypothèques ; le défaut de publicité et le danger de trouver toujours un créancier occulte inscrit avant soi ôte toute valeur aux sûretés immobilières. Reste donc le nantissement exigé pour couvrir le négociant européen des différences qu’il peut avoir à subir ; les Japonais sont moins commerçans que joueurs, et bien souvent ne déposent un gage que pour se procurer les fonds nécessaires à des spéculations de hasard sur les cours des marchandises.

Une autre plaie des relations commerciales, c’est la variabilité du change de la piastre et la rareté de la monnaie métallique indigène. La baisse de la piastre a été la cause de vrais cataclysmes survenus dans le commerce lyonnais. La quotité des bénéfices réalisables sur certaines marchandises telles que la soie est en effet si minime que, pour la changer en perte, il suffit de quelque dépression dans les cours des monnaies. Le mieux est alors de s’abstenir d’entamer