Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Autrefois c’étaient les karo des daïmios qui venaient avec des interprètes s’aboucher avec nos résidens pour leur acheter des armes, des munitions, des équipemens et mille fantaisies ; ils engageaient leur prince à son insu, quelquefois en falsifiant son sceau, et leurs successeurs refusaient de satisfaire à de pareils contrats. Aujourd’hui les grandes fournitures à faire au gouvernement se traitent encore sous le manteau de la cheminée par l’intervention des vice-ministres, de leurs secrétaires et des subalternes de ceux-ci, sans qu’aucun s’abstienne de percevoir son tribut. Quant aux commandes faites par des particuliers, nos négocians ne les acceptent plus que sur de bonnes garanties déposées dans leurs godowns et facilement réalisables.

Le commerce de détail tient une grande place à l’importation, et repose sur une coutume qui déroute un peu nos habitudes d’esprit et qu’on pourrait appeler, si le mot n’était barbare, le polymorphisme du trafic. Nous sommes habitués ai trouver un seul et même genre d’articles chez- un même boutiquier ; ici des porcelaines, là des étoffes, ailleurs des denrées alimentaires. Il n’en est pas de même chez les débitans japonais ; ils étalent ensemble et pêle-mêle tous les objets de provenance européenne ; il n’est pas rare de voir, dans la même montre, des lampes à pétrole, des boîtes de sardines, des caleçons de tricot, des chapeaux de feutre, des cigares, du savon, de la bière, des vins frelatés, des brosses à dents, et des lithographies. Les indigènes ne font en cela qu’imiter les store-keepers de Yokohama, qui tiennent tous de véritables bazars où tous les articles sont confondus. Une seule spécialité ne suffirait pas en effet, vu le petit nombre de consommateurs soit européens soit japonais, à défrayer un commerce. Le petit débitant d’Yédo ou des grandes villes de l’intérieur vient donc faire à Yokohama sa pacotille, et la vend comme ces colporteurs qu’on rencontre dans nos provinces avec un magasin roulant. Souvent le négociant européen, las d’attendre l’écoulement d’un stock excessif, vide son magasin dans l’échoppe d’un petit débitant japonais et lui livre la marchandise en dépôt, sauf à lui demander compte à un taux très modéré des objets vendus. C’est ainsi qu’on achète parfois au rabais, dans les rues d’Yédo, des articles qu’on paierait plus cher à Paris, sortant de la même fabrique. C’est l’importateur en pareil cas qui supporte la perte ; quant aux intermédiaires, ils ne réalisent que des bénéfices.

Les achats de marchandises destinées à l’exportation sont bien plus sujets à la nécessité des intermédiaires. Il est interdit aux Européens de pénétrer dans l’intérieur. C’est là qu’il faudrait aller trouver le producteur ; or le chemin est barré par les traités : le producteur, il est vrai, dirige ses récoltes sur les ports, mais, ignorant