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La fin de la révolte marqua aussi la fin de cette ère de prospérité violente. Le Chinois avait eu beau goûter pendant trois ans nos produits, il retourna, dès qu’il le put, à son foyer en cendres, laissant vides les maisons construites pour Lui, dont les carcasses inutiles sont aujourd’hui en train de périr comme les carènes d’une flotte naufragée. Plus de locataires, plus de ressources pour payer les terrains achetés à crédit et les constructions élevées à force d’emprunts. La secousse avait été terrible ; elle fut salutaire. On comprit qu’il fallait renoncer aux bénéfices extraordinaires, aux coups de bourse ; qu’il fallait faire du commerce et non de la spéculation. Jusque-là, on avait tout osé : un négociant faisait venir.une immense cargaison de tel ou tel article, sans connaître le moyen de l’écouler, et faisait fortune ou faillite suivant qu’il avait deviné juste. Deux maisons rivales envoyaient jusqu’à Singapore des steamers à fortes machines au-devant de la malle, pour rapporter avant son arrivée les dernières cotes des marchés anglais ou lyonnais, d’après lesquelles on pouvait spéculer à coup sûr.

Aujourd’hui le télégraphe, qui arrive à Shanghaï de deux côtés, par voie de Sibérie et par voie des Indes, a changé la situation. Une concurrence plus vaste s’est établie ; l’Europe a produit en plus grande, en trop grande quantité, et la dépréciation qui s’en est suivie a diminué les bénéfices des intermédiaires. Les Chinois, de mieux en mieux renseignés sur l’état de la demande en Europe, ne fixent leur prix qu’à bon escient. Ils se font eux-mêmes importateurs ou exportateurs et s’approprient une partie des profits. En un mot, si le chiffre d’affaires n’a que faiblement diminué, les avantages personnels qu’en retiraient les fondateurs de Shanghaï ont singulièrement décru. Qu’on ajoute l’encombrement général du marché européen dans certaines années, la baisse des soies à Lyon, et l’on comprendra aisément d’où viennent les plaintes individuelles que l’on entend retentir de toutes parts et que l’éloquence des statistiques générales les plus consolantes ne calme pas.

L’histoire des treaty-ports n’est qu’une série de doléances, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Celles du gouvernement chinois ont eu longtemps pour objet la contrebande effrénée qui se pratiquait ; les douanes placées entre les mains des mandarins étaient si mal gérées qu’une bonne partie des entrées échappait à la surveillance et qu’une faible partie des recettes accusées parvenait jusqu’au trésor impérial. A la suite des traités de 1860, le produit des douanes fut affecté au paiement de l’indemnité de guerre fixée à 8 millions de taëls (ou 60 millions de francs) ; on n’avait pas réfléchi que, ces taxes étant uniquement levées sur le commerce étranger, c’était l’Europe qui allait faire les frais de l’indemnité qu’elle stipulait. Le cabinet de Pékin se montra aussitôt fort empressé de porter l’ordre