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lui-même affaire le plus souvent qu’à des courtiers qui sont en rapport avec le paysan ou le fermier. Ces courtiers tiennent dans leurs mains, grâce aux avances qu’ils leur ont faites dans quelque moment difficile, les malheureux producteurs à qui ils font durement la loi ; mais eux-mêmes sont forcés de subir le contrôle et par conséquent de payer la bonne volonté du mandarin local qui peut, s’il lui plaît, gêner leur négoce par mille vexations. Il faut donc faire la part de ce fonctionnaire, celle de ses subalternes, celle du moindre scribe, et la marchandise n’arrive à sa destination que grevée de toutes ces taxes occultes, plus inévitables que celles établies par la loi. C’est pour se fortifier contre ces exactions que se sont formées, entre gens du même métier, des corporations qui réussissent à se défendre contre l’excès de l’injustice administrative, en même temps qu’à dicter leur loi et imposer leurs prix aux négocians étrangers incapables d’entamer cette autre muraille de la Chine. Rarement ces derniers se lancent eux-mêmes dans l’intérieur pour y traiter directement leurs affaires ; ils ne trouveraient que des autorités antipathiques, une population défiante, une clientèle accaparée par les courtiers en titre, des prix maintenus avec persistance par tout un district, et si, après bien des efforts, ils parvenaient à vaincre ces obstacles pour expédier au port voisin un convoi de marchandises, ils courraient de grandes chances de le voir pillé par quelque bande de malfaiteurs. On voit qu’en résumé le pouvoir régulateur du commerce reste entre les mains chinoises, et que la Chine n’achète et ne vend jusqu’à présent que ce qu’elle veut, au prix qui lui convient.

Ce serait sans doute faire trop d’honneur au négociant chinois que de le représenter comme un modèle de délicatesse et de désintéressement, mais il sait à merveille que l’honnêteté commerciale est le meilleur véhicule du crédit ; il est trop habile pour manquer à ses engagemens, trop prudent pour en contracter d’exagérés. Les relations avec lui sont parfaitement sûres, et, comme il constitue l’une des classes les plus éclairées de la population, c’est sur lui que les Européens peuvent le mieux compter pour leur ouvrir peu à peu l’accès au cœur de la Chine ; mais il faut se garder de brusquer les choses et de choquer les préjugés locaux. Les Anglais, qui donnent ici le ton, sont des maîtres dans l’art de ménager les susceptibilités des peuples qu’ils subjuguent, de transiger avec les croyances religieuses, les superstitions les plus absurdes et de se faire respecter en respectant les autres.

Les opérations commerciales n’ont pas pour unique objet des articles de consommation ; quelques-unes roulent aussi sur cette marchandise plus délicate à marner que toute autre : l’argent. Les banques européennes, en tête desquelles il faut citer la