Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en grand nombre pour les navigations transatlantique et fluviale ainsi que pour le cabotage entre les ports chinois. Toutefois deux faite tendent à diminuer cette source de revenus pour les étrangers : c’est d’une part le bon marché croissant auquel tombe le fret par suite de la grande, concurrence des navires qui s’offrent à l’expéditeur ; c’est d’autre part la formation récente d’une compagnie chinoise pour la navigation, à vapeur sur les côtes, dans les grands fleuves et jusqu’au lapon. Le transport des coulies pour Callao n’intéressait que le Pérou et, dans quelques, rares occasions, la France, qui prêtait parfois son pavillon à ce trafic. Il a aujourd’hui cessé de se faire à Macao, dont la ruine n’a pas tardé à suivre cette mesure généreuse, mais ; peut-être trop radicale, du gouvernement portugais. Aujourd’hui la Chine expédie plus d’émigrans que jamais ; mais ils partent de Hong-Kong, d’Amoy et de Swatow sous pavillon anglais.

Quand on a parcouru les quais de Hong-Kong ou les rues de Shanghaï, on n’est pas sans avoir encore besoin de quelques explications pour comprendre comment se pratiquent les transactions internationales. On a rencontré dans des palais, spacieux des gentlemen, généralement peu affairés, qui mènent une vie élégante ; on a vu, au rez-de-chaussée de leurs habitations, des bureaux où quelques employés européens ont sous leurs ordures un petit nombre d’employés chinois. Au fond d’une cour ou même dans un enclos séparé et entouré de murailles, des magasins, dont les lourdes portes s’ouvrent de temps à autre pour laisser entrer ou sortir des ballots. On a d’autre part coudoyé dans les ruelles de la ville indigène de graves marchands à la figure parcheminée, au teint hâve, les yeux cachés sous de grosses lunettes rondes à monture de corne. Mais comment se fait le rapprochement entre ces deux sortes de négocians d’allures si différentes, c’est ce que l’on ne saisit pas du premier coup. Tout le commerce en effet repose sur un personnage mixte attaché à chaque maison européenne, et sans intermédiaire duquel on ne fait aucune négociation, le compradore.

Le compradore est un Chinois qui parie couramment l’anglais ou tout au moins le pigeon[1], et possède des notions exactes sur le mode de placement des marchandises européennes et les meilleures provenances des produits chinois. C’est lui qui, par ses relations personnelles, procure à son patron la clientèle des courtiers

  1. Prononcez pidjinn. C’est la langue qui s’est faite toute seule dans ces parages pour servir de moyen d’échange aux deux nations. C’est une sorte de patois composé de mots anglais mal prononcés et disposés suivant la syntaxe chinoise. On se fera une idée de ce singulier idiome en songeant que le mot même qui le désigne n’est autre que la transformation dans une bouche chinoise du mot anglais business et veut dire en effet « langue des affaires. »