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LES PARLEMENS SOUS L’ANCIEN RÉGIME.

était, comme cour des pairs, le tribunal de la grande noblesse, il avait le roi pour président-né, et, sans exagérer l’orgueil, il pouvait dire qu’il était « le sénat de la nation. » Comment est-il arrivé à cette situation sans exemple dans la monarchie française et les autres états de l’Europe ?

D’après nos vieux publicistes[1] et sa propre théorie, le parlement était le successeur direct des assemblées mérovingiennes et carlovingiennes, qui rendaient la justice, exerçaient le pouvoir législatif avec le prince, et dirigeaient les affaires du royaume. Les changemens de dynastie n’avaient point interrompu son droit, et il ne faisait que continuer, sous une forme nouvelle, par les remontrances et les refus d’enregistrement, une tradition qui remontait, plus haut que les Capétiens, car elle avait, disait-on, pris naissance dans les conciliabules armés de la Germanie, et l’on invoquait comme preuve que les pairs qui faisaient de droit partie du parlement y siégeaient l’épée au côté. Cette explication ne soutient pas l’examen, et, si la plupart des écrivains du XVIIIe siècle s’y sont ralliés, ce n’était point pour rendre hommage à la vérité historique, mais pour accuser les rois d’avoir étouffé la liberté dans son berceau. Quelques érudits contemporains ont mis en avant un autre système. Suivant eux, les rois, en faisant transcrire leurs édits et ordonnances sur les registres du parlement, avaient ouvert la voie aux prétentions qu’il fit valoir dans les derniers siècles[2]. La transcription, à l’origine, était précédée d’une lecture et suivie d’une simple promulgation. Plus tard, elle donna lieu à un arrêt. Pour rendre l’arrêt, il fallait le discuter ; la discussion amena des critiques, les critiques à leur tour amenèrent des remontrances, et les remontrances des refus d’enregistrement. Cette fois l’explication se rapproche de la vérité, mais elle est encore insuffisante, parce qu’elle ne dit pas pourquoi l’enregistrement avait lieu, quels en étaient la signification et le véritable but.

Pour répondre à cette question, il faut se rappeler qu’une ordonnance de Philippe le Bel avait divisé le conseil ou cour du roi, curia domini regis, en trois sections, réservant à l’une les affaires générales du royaume, à l’autre la comptabilité, à la troisième la justice. Mais au XIVe siècle l’idée de la séparation effective des pouvoirs n’avait point encore pénétré dans les esprits. La section de justice, devenue le parlement de Paris, fut toujours considérée par les rois, malgré ses attributions distinctes, comme une annexe de leur conseil ; à ce titre, ils lui demandèrent fréquemment des avis,

  1. Voyez le comte de Boulainvilliers, Histoire de la pairie de France et du parlement de Paris, 2 vol. in-12 ; 1733, et les Remontrances du 27 novembre 1755.
  2. Sur la transcription, Rec. des ordonnances, mai 1355, t. II, p. 2.