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l’objet de quelque mesure bienfaisante : entrée au refuge, rapatriement, réconciliation avec la famille. 500 contre 68, telle est en une année la proportion de la bienveillance par rapport à la rigueur. Les écrivains qui critiquent avec tant d’âpreté la préfecture de police sont-ils sûrs dans leur vie entière d’avoir déjà fait autant de bien ?

Enfin la surveillance de la prostitution rend encore un dernier service : celui d’indiquer à la charité sa voie, et de lui ouvrir l’accès d’un champ relativement facile à exploiter. Lorsqu’on s’est préoccupé, il n’y a pas encore bien longtemps, en Angleterre, de faire quelque chose pour combattre par des moyens moraux ce fléau de la prostitution qui sévit dans les grandes villes, et à Londres en particulier avec bien autrement d’intensité qu’en France, et lorsqu’on a essayé pour la première fois de fonder des œuvres et des asiles analogues à ceux qui, sous la dénomination générique et touchante de Bon-Pasteur, existent en France depuis plusieurs centaines d’années, une des difficultés principales auxquelles sont venues se heurter les femmes qui avaient pris à cœur cette noble tâche a été de trouver un endroit où elles pussent joindre et exhorter les malheureuses créatures qu’elles voulaient arracher à la dégradation. Les unes ont essayé de les visiter dans les hôpitaux où la maladie les jetait, d’autres leur ont adressé des appels et donné des rendez-vous publics à certaines heures et dans certains endroits déterminés. D’autres enfin ont eu en ces derniers temps le courage de pénétrer elles-mêmes dans leurs repaires pour faire arriver à leurs oreilles inaccoutumées des paroles d’exhortation et d’espérance. Qui oserait blâmer ces témérités charitables, dont le salut d’une seule âme est à la fois la justification et la récompense ? Mais je crois que pour les personnes (et elles sont pour le moins aussi nombreuses en France qu’en Angleterre) qui sont animées de la même préoccupation, ce serait faire tout à fait fausse route que de s’engager dans cette voie pleine de rebuts et de mécomptes, lorsque leur pieuse activité peut s’exercer dans des conditions beaucoup plus favorables. La prison de Saint-Lazare, par laquelle passent annuellement plus de 8,000 femmes de mauvaise vie, offre à cette activité un aliment inépuisable. Je compléterai donc cette étude par quelques renseignemens sur cette prison célèbre où un personnel dévoué lutte avec d’inextricables difficultés matérielles, et sur l’organisation de laquelle j’aurai plus tard l’occasion de revenir en parlant de l’éducation correctionnelle des jeunes filles pour en demander sous certains rapport la complète transformation[1]. Mais je ne

  1. On trouvera une très exacte et intéressante description de la prison de Saint-Lazare dans l’étude de M. Maxime Du Camp sur les Prisons de Paris (Revue du 1er octobre 1869).