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semblent imités de certains objets barbares trouvés dans la vallée du Danube. Des comparaisons avec l’Égypte ou l’Assyrie ne seraient pas moins aisées. Mais on ne saurait être trop réservé, quand de ressemblances lointaines on veut conclure à des relations entre les peuples. Que de lois ces ressemblances dont on s’ingénie à deviner les causes proviennent simplement de ce fonds commun à tous les hommes qui les conduit aux mêmes découvertes, aux mêmes usages, aux mêmes industries, sans qu’ils se soient concertés, par cela seulement qu’ils ont les mêmes besoins, par cela seulement qu’ils sont hommes ! Il en est de même dans les institutions, le costume, la religion, l’art. On a relevé sur les monumens de l’Anahuac des méandres semblables à ceux de la Grèce ; qui oserait en conclure que l’art mexicain vient de l’art grec ?

Pour nous, sans nier la part des influences étrangères, nous ne croyons pas qu’on puisse contester à l’art mycénien d’être dans son ensemble un produit de l’esprit local. C’est un germe de l’art grec, mais un germe imparfait venu trop tôt et qui mourut avant de s’épanouir. Il correspond à la société des temps héroïques, à cette espèce de féodalité dont la poésie et la tradition ont gardé la mémoire, et qui disparut longtemps avant la grande époque de la civilisation hellénique. Parmi les objets trouvés sous l’agora de la ville d’Agamemnon beaucoup pourraient servir à illustrer l’Iliade, qui représente l’âge héroïque à son déclin. Cependant, comme on l’a vu, les tombes royales de Mycènes sont certainement antérieures à l’époque que peint Homère. Quoiqu’il soit toujours dangereux de risquer une date dans le domaine préhistorique, on peut affirmer avec quelque certitude qu’elles remontent au XIe ou même au XIIe siècle avant l’ère chrétienne. Grâce à ces belles trouvailles, on soulève un coin du voile qui recouvre la Grèce primitive, et l’on peut ajouter un chapitre à l’histoire de celui de tous les peuples qui passionne le plus notre curiosité. C’est là, ce nous semble, un assez beau titre de gloire pour que M. Schliemann s’en contente et renonce, à tout jamais, aux reliques d’Agamemnon.

George Cogordan.