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MYCÈNES ET SES TRÉSORS.


un vase portant deux seins de femme, genre d’ornement fort usité dans la haute antiquité. Les dessins sont grossiers et lourds, et l’on peut dire que la céramique mycénienne est encore dans l’enfance. — Tout différens sont les vases d’or et d’argent, plus nombreux encore que les autres, et dont la forme rappelle souvent celle des plus beaux produits de l’art classique. Quelques-uns par exemple se rapprochent des canthares, aux larges anses élevées ; d’autres, assez semblables à nos aiguières modernes, ont un couvercle retenu par un fil d’or ; d’autres enfin, les plus nombreux, ont une anse comme une tasse évasée, tantôt reposant directement sur le fond, tantôt montée sur un pied. L’ornementation est à peu près du même style que celle des feuilles d’or : étoiles, spirales, cercles, se croisent et s’enchevêtrent à l’infini. Le chef-d’œuvre des vases de Mycènes est une coupe d’or montée sur un pied fort élégant, et portant deux anses sur chacune desquelles repose une colombe. Outre la réelle élégance et le mérite du travail, il s’y attache un intérêt tout spécial, par la ressemblance avec la coupe de Nestor décrite par Homère. C’est en effet dans une coupe ornée de colombes d’or que le sage donneur de conseils de l’armée grecque avait coutume de boire : malgré quelques différences de détail, l’identité de style entre les deux objets n’est pas contestable.

Les richesses considérables déposées dans ces tombeaux et dont la valeur intrinsèque dépasse cent mille francs ne permettent pas de douter que les restes déterrés sous l’agora de Mycènes n’appartiennent à de hauts et puissans seigneurs de l’antiquité. Les ornemens royaux viennent à l’appui ; jamais des particuliers n’auraient été inhumés en compagnie de couronnes et de sceptres ! Mais étaient-ce bien les tombes du roi des rois lui-même et de ses compagnons ? M. Schliemann n’hésite pas une seconde à admettre l’affirmative. Le 28 novembre 1876, il annonçait sa découverte au roi des Hellènes par un télégramme triomphant : « Avec une joie extrême, dit-il en français, j’annonce à votre majesté que j’ai découvert les tombeaux que la tradition dont Pausanias se fait l’écho désignait comme les sépulcres d’Agamemnon, de Cassandre, d’Eurymédon et de leurs camarades tués pendant le repas par Clytemnestre et son amant Égisthe… Que Dieu veuille que ces trésors soient la pierre angulaire d’une immense richesse nationale ! » En même temps, M. Schliemann publiait dans tous les journaux de l’Europe qu’il avait exhumé le propre cadavre d’Agamemnon. Au roi des rois seul pouvait appartenir cette forte mâchoire ornée de trente-deux belles dents ! au roi des rois seul ce visage masqué d’or qui portait encore l’empreinte du majestueux sourire du fils d’Atrée ! Dans les premiers transports de l’enthousiasme, ces argu-