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MYCÈNES ET SES TRÉSORS.


nature et l’on atteignit une couche de débris remontant aux âges préhistoriques : des constructions cyclopéennes furent mises à nu ainsi que des travaux de canalisation. Les eaux pures et fraîches de la fontaine de Persée, située sur les pentes de la montagne au dessus de la ville, arrivaient jusque dans les rues par une série de canaux. Parmi des tessons de grossières poteries, on découvrit un certain nombre de larges pierres, qualifiées de stèles funéraires par M. Schliemann, à qui elles firent concevoir l’espérance qu’il touchait à la nécropole royale qu’il cherchait. Plusieurs de ces pierres portent des bas-reliefs, qui au milieu d’ornemens bizarres représentent des scènes de chasse ou de guerre. Guerrier ou chasseur, l’homme est debout sur un char, qui répond assez exactement aux descriptions de l’Iliade : le siége est carré, contrairement à celui des chars classiques, les roues du petit diamètre n’ont que quatre rayons. Les mêmes qualités de force et de mouvement que nous avons remarquées chez les lions de la porte distinguent les animaux, chiens, cerfs ou chevaux, des stèles funéraires. Il semble que, chez les artistes encore barbares qui ont sculpté ces vieux reliefs, les qualités qui devaient s’épanouir plus tard existaient déjà virtuellement.

On s’aperçut bientôt que la place où les stèles avaient été découvertes était environnée d’une double rangée de pierres droites disposées en cercles concentriques, dont quelques-unes étaient surmontées de dalles taillées avec soin et formant une sorte de banc circulaire. M. Schliemann pensa d’abord avoir trouvé l’enceinte de la nécropole dont les stèles révélaient l’existence. Mais, en réfléchissant davantage, il crut pouvoir affirmer que cette aire arrondie n’était autre que l’ancienne agora, ou place publique de Mycènes, lieu de délibération des conseillers du roi. Homère parle fréquemment de ces assemblées des vieillards, réunis sous la présidence du roi, dans un emplacement à ce destiné, de forme circulaire, où ils siégent sur des dalles de pierre, habilement taillées. N’est-ce pas dans une agora de ce genre que le roi des Phéaciens, le magnanime Alcinoüs, assemble son peuple pour écouter les récits d’Ulysse ? Le bouclier d’Achille, décrit par Homère, ne représentait-il pas un conseil de vieillards, assis dans un cercle sacré sur des dalles polies ? Enfin, parlant de Mycènes même, Euripide n’en mentionnait-il pas l’agora circulaire ? Nous partageons l’opinion de M. Schliemann d’autant plus volontiers que l’emplacement convient à merveille à un sénat grec. De même que du Pnyx d’Athènes on apercevait la plaine et la mer, de même de l’agora mycénienne, qui venait reposer sur le mur même de l’acropole, on contemplait tout le pays et le golfe d’Argos. C’était une place vraiment merveil-