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peut se figurer ce que sont ces murailles titanesques, composées de blocs non taillés et amoncelés les uns sur les autres sans chaux, ni ciment, les plus gros équilibrés par de plus petits, et n’ayant d’autre cohésion que celle donnée par leur propre pesanteur. La hauteur et la forme varient suivant celles du rocher ; l’épaisseur est telle qu’on a pu ménager dans l’intérieur du rempart de longues galeries où les défenseurs de la place s’abritaient comme dans les casemates de nos forts, en même temps qu’ils épiaient les mouvemens de l’ennemi par les interstices des pierres. Une sorte d’instinct des lois physiques qu’ils ignoraient a conduit les architectes tirynthiens à donner à ces galeries la forme ogivale, de même qu’au moyen âge on appliquait les lois de la géométrie descriptive avant que Monge l’eût inventée. — Des poternes basses et également ogivales faisaient communiquer Tirynthe avec la plaine du côté de la mer ; mais la véritable entrée de la citadelle était du côté opposé. On se rend encore un compte exact de ce qu’était cette porte protégée par une tour, la première, disait-on, qui eût été bâtie sur le sol grec. En contournant la tour, les assiégeans devaient forcément présenter le flanc droit aux défenseurs, qui pouvaient les cribler de traits du côté où le bouclier ne les protégeait pas : on observe cette disposition dans un grand nombre de monumens de l’ancienne architecture militaire. Une fois la tour tournée et la porte franchie, l’ennemi n’était pas encore tout à fait maître de la place : un mur séparait en deux parties l’intérieur de la forteresse, et il fallait entreprendre un nouveau siége.

En arrivant en Argolide, M. Schliemann ne put résister au désir de fouiller le sol de Tirynthe. Les résultats de cette tentative furent médiocres, si ce n’est en dehors de l’enceinte, où on fit quelques trouvailles prouvant qu’à l’époque classique, après la destruction de leur forteresse, les Tirynthiens s’étaient fondé une ville ouverte au pied de leurs anciens remparts. Dans l’acropole, M. Schliemann fit creuser quelques tranchées, d’où furent tirés divers objets préhistoriques, poteries, amulettes, que nous retrouverons à Mycènes. Rien dans ces découvertes n’a permis d’apporter quelque lumière au problème que l’on se pose tout d’abord à la vue des murailles gigantesques de Tirynthe : comment les hommes ont-ils pu construire de pareils édifices, dénués comme ils l’étaient des engins puissans de la civilisation moderne ? Le temps a du être le principal auxiliaire des architectes pélasgiques. Il règne dans les sociétés primitives une intime solidarité entre les générations successives. On travaille volontiers sans espoir de voir jamais le couronnement de l’œuvre, comme faisaient les constructeurs de nos grandes cathédrales. Ce labeur incessant et opiniâtre de plusieurs