Si la banque était délivrée des réquisitions forcées qui faisaient
brèche à ses caisses, elle l’ignorait et en tout cas elle n’était point
délivrée de ses craintes. On ne savait ce que devenait l’armée française ; on avait beau monter sur les toits, se munir de longues-vues
et regarder à tous les coins de l’horizon, on n’apercevait rien ; à
peine çà et là, dans le lointain, quelques fumées blanches, montant
sous le ciel et s’éparpillant au vent, indiquaient l’emplacement possible d’un combat. On était énervé. On allait, on venait dans les
cours, dans les couloirs : parfois on jetait un coup d’œil dans les
rues, elles étaient presque désertes ; de rares passans se hâtaient,
parfois un ivrogne chantant mettait un peu de bruit dans ce morne
silence. Vers les quatre heures, on eut quelques nouvelles ; lentement et méthodiquement, décidée à ne rien livrer au hasard, l’armée
s’avançait ; Ladmirault et Clinchant avaient fait leur jonction sur
le sommet des buttes Montmartre, dont ils s’étaient rendus maîtres
sans difficultés ; Vinoy tiraillait aux environs de l’esplanade des Invalides et cherchait à s’emparer du Corps législatif ; Cissey, brisant
à angle droit la marche de son corps d’armée, vient de s’installer
dans la gare Montparnasse. Ce sont là les mouvemens des ailes ; la
Banque est au centre, et le corps du général Douay est encore arrêté
sur le boulevard Malesherbes ; mais sa gauche, formée par la division
Vergé, momentanément détachée du corps de Vinoy, chemine dans
le haut du faubourg Saint-Honoré. Cela n’était pas rassurant. La
Banque était au cœur même du quartier que l’insurrection occupait ;
entre elle et l’armée française s’élevaient les ouvrages considérables
de la rue de Rivoli, de la place Vendôme, sans compter vingt barricades improvisées, dont une seule, celle de la rue de la Chaussée-d’Antin, neutralisait les efforts du général L’Hériller, qui cependant
l’attaquait en s’appuyant sur l’église de la Trinité, en haut de laquelle les marins avaient hissé leurs batteries mobiles.
On n’en était encore qu’à la bataille, et déjà la lutte faisait horreur. S’il eût existé l’apparence d’un sentiment humain dans l’âme des terroristes qui dirigèrent la dernière résistance de la commune, ils auraient mis bas les armes. Ces hommes qui, dans leurs discours et leurs proclamations, faisaient sonner si haut leur tendresse humanitaire n’eurent même pas cette simple humanité dont l’irrésistible impulsion commande d’arrêter l’effusion du sang devenue inutile. Ils allèrent jusqu’au bout de leur mauvaise action, Sardanapales de la charcuterie et de l’absinthe que leur criminelle vanité poussait à disparaître au milieu d’un grand cataclysme. Mourir en anéantissant une des plus énormes villes du monde, c’était quelque chose pour ces exaspérés de leur propre médiocrité. Soit ! mais combien sont morts ? combien ont affronté « l’ennemi social » et sont tombés