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la maison où depuis le commence nient d’avril il avait trouvé un asile pour la nuit et était venu coucher rue de La Vrillière, afin d’être là si le péril devenait trop menaçant. Charles Beslay était accouru dès les premières heures, et M. de Plœuc, tout en ayant l’air de plaisanter, lui dit sérieusement : — Vous êtes mon prisonnier, je vais vous faire préparer un appartement, vous ne nous quitterez plus, la bataille est engagée ; vous m’aiderez à sauver la Banque, — et, lui serrant la main, il avait ajouté : — À charge de revanche. — Charles Beslay avait accepté, et M. de Plœuc l’avait installé dans son propre logement. Les illusions que les hommes les plus modérés de la commune conservaient encore à cette heure où leur écroulement avait déjà commencé sont inexplicables. Charles Beslay, visiblement soucieux et préoccupé, se promenait dans la grande cour avec un de ses amis qu’il est inutile de nommer ; ils causaient ensemble du mouvement de l’armée, des ressources de l’insurrection, de la lutte dont les rumeurs lointaines venaient jusqu’à eux. Charles Beslay déplorait ce combat, car la guerre et surtout la guerre civile lui était naturellement antipathique. Son ami lui dit ; — C’était inévitable ; cette dernière bataille était nécessaire pour nous permettre d’asseoir définitivement notre système politique ; nous touchons au terme de tous nos efforts ; ces pauvres Versaillais ! je ne puis m’empêcher de les plaindre ; les voilà dans Paris ; ils vont y être cernés, et pas un d’eux n’en sortira vivant. — Le témoin, homme fort considéré, qui m’a rapporté ce fait, m’a dit : « Ce M. X… parlait avec une telle conviction que j’en ai été troublé. » Chose singulière ! La plupart des économistes, des rêveurs de la commune, ont jusqu’à la dernière minute, jusque sur les hauteurs de Belleville gardé une imperturbable espérance dans leur triomphe assuré ; tandis que les jacobins, les blanquistes, les hébertistes, gens pratiques par excellence et sans scrupule, ont compris qu’ils étaient perdus aussitôt que l’armée eut franchi les fortifications. Les économistes ont lutté pour ressaisir la victoire ; les jacobins se sont battus pour détruire, pour incendier, pour assassiner » sans croyance aucune dans le résultat définitif, pour faire le mal. Ceci établit entre eux une différence essentielle dont il convient de tenir compte, lorsque l’on veut les juger avec impartialité.

Le comité de salut public et les membres de la commune qui s’établirent près de lui en permanence à l’Hôtel de Ville, ne doutant plus du sort que leur défaite allait leur réserver, eurent besoin d’argent, pour donner une haute paie aux combattans et les maintenir derrière les barricades, et aussi pour se remplir les poches, s’assurer un asile et préparer leur fuite ; c’est l’heure ! ; où les mentons barbus vont devenir glabres et où les chamarrures de l’uniforme vont faire place à la veste de l’atelier. Le comité de salut public