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périls. Il fut décidé que, pour parer aux éventualités financières d’une huitaine de jours, on garderait quelques millions en disponibilité à la grande caisse, puis que tout le métal, tous les billets, tous les clichés, tous les effets de l’escompte, tous les effets prorogés, tous les titres en dépôt seraient descendus dans les caves, et enfin que l’escalier de celles-ci serait ensablé. Ce n’est pas sans un serrement de cœur qu’une telle résolution fut adoptée, car c’est là une mesure extrême qui ressemble à la construction du radeau sur un navire en détresse ; c’est en outre une humiliation que la Banque de France n’a subie qu’une seule fois depuis qu’elle existe, le 29 mars 1814, à la veille du jour où les ennemis victorieux allaient entrer dans Paris.

M. Mignot, en sa qualité de caissier principal, avait insisté pour que cette mesure extrême ne fût plus reculée, car dans la journée même il avait reçu la visite de Camélinat, qui était venu réclamer, exiger qu’on lui envoyât immédiatement à l’hôtel du quai Conti une réserve de 3,200,000 francs en monnaies aurifères que le trésor avait déposée à la Banque. M. Mignot s’y était énergiquement refusé. Charles Beslay, qui à cette heure lugubre voyait encore dans la commune le début d’un âge d’or prochain, s’était porté à la rescousse et, sous prétexte que le premier devoir de l’état est de fournir du travail aux ouvriers, avait adjuré M. Mignot de livrer aux presses de la Monnaie les pièces destinées à la refonte que la Banque conservait dans ses caves. Le caissier principal avait tenu bon, mais avait pris l’engagement de faire à ce sujet un rapport au conseil des régens, qui aviserait et déciderait si la requête de Camélinat, appuyée par Charles Beslay, devait être accueillie ou repoussée. La lettre menaçante de Jourde, la demande excessive de Camélinat, concertées probablement d’avance et se produisant presqu’à la même minute, annonçaient de la part de la commune des projets de violence ou tout au moins d’intimidation contre lesquels il était prudent de se mettre en garde. Il fut donc décidé que, dès le lendemain, le transport des valeurs dans les caves et l’oblitération de l’escalier de celles-ci seraient effectués. On consacra la journée du 20 mai à cette opération, qui fut longue. Le contrôleur, le caissier-général étaient là, car chacun d’eux est dépositaire et responsable de six des douze clés qui ferment l’entrée des caves. Successivement ils firent jouer le pêne des trois serrures ; les quatre portes massives qui servent de défense au trésor souterrain furent ouvertes l’une après l’autre.

L’accès des caves était libre ; on plaça des bougies allumées dans les vieux chandeliers en fer qui datent de la création de la Banque, et le transbordement commença à une heure de l’après-midi. D’abord l’or, l’argent et les billets ; cela dura trois heures. De quatre