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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

satisfaisante, mais le commandant Bernard, rentré dans la Banque, fit armer ses hommes ; chacun se prépara, et l’on mit des cartouches dans les gibernes. M. de Plœuc avait couché à la Banque ; il venait à peine d’être averti de la présence des Vengeurs de Flourens, lorsqu’on lui annonça qu’un détachement de garibaldiens, arrivant par la rue d’Aboukir, occupait la rue de Catinat et la rue de La Vrillière jusqu’à la jonction avec la rue Croix-des-Petits-Champs. M. de Plœuc donna rapidement quelques ordres et s’éloigna ; il avait parfaitement compris que, s’il était arrêté, on nommerait un gouverneur à sa place, et que son devoir était de soustraire aux recherches la plus haute autorité de la Banque de France. Il se réfugia dans une maison voisine, d’où il pouvait rester en communication facile avec son personnel. Il était à peine parti que le 208e bataillon, appartenant à Ménilmontant, cernait la Banque par les rues Croix-des-Petits-Champs, Baillif et Radziwill. On fit fermer les portes. Le commandant Bernard sortit plusieurs fois, poussa quelques reconnaissances lointaines pour voir si de nouvelles troupes n’étaient point dirigées vers lui, et sans doute il pensa avec regret que Marigot n’était plus au Palais-Royal. Marigot en effet avait été expulsé de la demeure où il aimait à vivre, et il y avait été remplacé par un marchand de vin nommé Boursier, renforcé de Napias-Piquet, qui devait être le chef des « fuséens. » Il n’y avait donc plus à compter sur le secours éventuel d’un bataillon ami, et le commandant Bernard put se demander si le moment de la lutte n’était point venu.

Vers dix heures et demie, le citoyen Lemoussu, ceint d’une écharpe, demanda à parler au citoyen de Plœuc, sous-gouverneur, ou, en son absence, au citoyen Marsaud, secrétaire-général. Lemoussu, escorté de deux estafiers, pénétra dans la cour ; il y rencontra M. Marsaud, et M. Chazal, le contrôleur, et M. Mignot, le caissier principal, et M. de Benque, le secrétaire du conseil ; il y rencontra aussi une bonne partie du bataillon massé, en armes, derrière son commandant ; il entendit un murmure sourd et comprimé aussitôt par l’ordre : Silence dans les rangs ! Lemoussu fut extrêmement poli ; il se fit reconnaître : — commissaire aux délégations, mandataire de la commune. Puis montrant un papier qu’il tenait en main et ne lâcha pas : — Je suis expressément chargé de faire une perquisition dans les différens locaux de la Banque pour m’assurer que l’on n’y cache pas un dépôt d’armes clandestin. — M. Marsaud le regarda gaîment par-dessus ses lunettes et lui répondit : « Mais, mon cher monsieur, vous vous dérangez bien inutilement ; nous n’avons pas de dépôt d’armes ; nous possédons précisément le nombre de fusils correspondant au nombre d’hommes qui forment notre bataillon, pas un de plus, et notre bataillon est exclusivement composé de nos employés, ainsi qu’il est prescrit par le décret du