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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

en se rendant maîtres d’une partie de la fortune publique ? Nous ne savons, mais il est certain que, le 11 mai, dans un conciliabule secret qui fut tenu au parquet du procureur-général de la cour de cassation que souillait Raoul Rigault, on décida que la Banque serait occupée. On ne consulta ni la commune, ni le comité de salut public, car l’on redoutait les objections des économistes, surtout celles de Beslay, qu’on ne se gênait guère pour traiter de vieille bête, et celles de François lourde, qui, à cause de sa probité, était déjà accusé de pencher vers la réaction. Tout se passa entre compères ; il est fort probable que ce sont Raoul Rigault et Théophile Ferré qui imaginèrent le coup, auquel ils associèrent Cournet, alors délégué à la sûreté générale. Pour la plupart des blanquistes et des jacobins, le respect relatif témoigné à la Banque de France était une faute ; c’est là qu’il eût fallu s’installer dès l’abord : le capital saisi était vaincu, et Versailles capitulait devant la ruine du crédit public. Deux hommes qui ont pris une part active aux œuvres de la commune ont très nettement résumé les projets que le parti excessif de l’Hôtel de Ville nourrissait à cet égard ; l’un, M. Lissagaray, a écrit à propos du décret sur les otages : « Les membres du conseil, dans leur emportement enfantin, n’avaient pas vu les vrais otages qui leur crevaient les yeux : la Banque, l’enregistrement et les domaines, la caisse des dépôts et consignations. Par là on tenait…[1] la bourgeoisie ; on pouvait rire de son expérience, de ses canons. Sans exposer un homme, la commune pouvait tordre la main, dire à Versailles : Transige ou meurs. » L’autre est Paschal Grousset qui, le 27 juin 1876, envoyant à Jourde une sorte de certificat de « civisme, » dit en terminant sa lettre : « Votre erreur, à mon sens, est d’avoir pensé, avec plusieurs autres, qu’il fallait sauver « le crédit de Paris, » quand c’est son existence même (l’existence de Paris) qui était en cause. »

Une fois entré à la Banque, on n’en serait plus sorti ; elle avait beau être sur le pied de guerre et être défendue par un bataillon très dévoué, on espérait bien s’en emparer et s’y maintenir. Le moment était propice pour tenter un coup de main audacieux dans Paris ; la commune était en désarroi. Le 10 mai, Rossel avait donné sa démission de délégué à la guerre ; le 11, Delescluze le remplaçait : il y avait donc une sorte d’interrègne dont il était bon de profiter. Mais pour pénétrer en force dans l’hôtel de La Vrillière, il fallait un prétexte ; ce fut Paschal Grousset qui le fournit ou à qui on le demanda, nous ne savons absolument rien de positif sur ce point, mais nous avons sous les yeux l’original d’une lettre écrite

  1. Il y a ici une expression tellement grossière que je ne puis la reproduire, même par un équivalent. Histoire de la commune, p. 211-212. Bruxelles, 1876.