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sans se rendre impossible auprès des vainqueurs quels qu’ils eussent pu être, toujours étroitement lié avec la cour et cependant n’ayant jamais nettement rompu avec ses adversaires, Lionne avait eu une part assez grande dans les négociations de Munster, Il avait été moins heureux dans quelques missions en Italie. La finesse ne sert pas à grand’chose dans un pays où elle est la qualité de tout le monde. Du moins il y apprit à aiguiser ses propres qualités, à les affiner davantage encore. Nulle part mieux qu’à Venise et qu’auprès de la cour pontificale on ne pouvait faire son apprentissage diplomatique. C’est là que s’était formé Mazarin ; là aussi que se formera plus tard le cardinal de Polignac. Comme leurs ancêtres belliqueux avaient appris aux Carthaginois l’art de les vaincre en les battant, les diplomates italiens donnaient d’utiles leçons plus qu’ils n’en recevaient, et quiconque avait un peu lutté avec eux sortait de cette épreuve entièrement façonné pour les campagnes prochaines. Lionne avait d’ailleurs rencontré en Italie pour adversaire le cardinal de Retz, maître en intrigues, maître dans la diplomatie, aussi fécond en ressources dans les grandes que dans les plus petites affaires, excellant à choisir un but précis et à le poursuivre par les moyens les plus efficaces, et que nous n’avons pas à faire connaître, car il a trouvé ici même naguère[1] son historien définitif.

Quand Lionne arriva à Madrid, Philippe IV, roi d’Espagne, n’ayant pas d’enfant mâle, l’infante Marie-Thérèse, l’aînée de ses filles, était l’héritière nécessaire de la monarchie espagnole. Cette considération, qui rendait Lionne d’autant plus pressant, détermina le refus du conseil d’Espagne. Lionne, qui espérait le succès de sa démarche le 4 août 1656, écrivait ce jour-là à la reine mère (Anne d’Autriche) : « Il est certain que je n’ai jamais rien vu de plus beau que l’infante, ni qui ait plus de grâce en son port et plus de bonne mine. Le lait n’est pas plus blanc qu’elle est blanche, et pour les traits du visage, elle ressemble tellement au roi que, si on ne les prenait pas pour une même personne, s’ils étaient déguisés, on jurerait tout au moins que c’est un frère et une sœur. » Six semaines après, convaincu de l’insuccès de ses tentatives, il écrivait à Anne d’Autriche : « Ayant eu occasion de revoir de plus près l’infante et de la mieux considérer que je n’avais pu faire d’un carrosse à l’autre qui étaient assez éloignés, je n’y ai pas trouvé la même beauté et les mêmes agrémens qu’il me semblait y avoir remarqués de prime abord[2]. « Le trait valait d’être signalé. Il

  1. Voyez les travaux de M. Chantelauze dans la Revue des 15 juillet, 1er et 15 août, 1er et 15 septembre 1877.
  2. Ces deux lettres sont extraites des Documens inédits sur l’histoire de France. — Négociations relatives à la succession d’Espagne sous Louis XIV, par M. Mignet, t. Ier, p. 35 et 37. C’est dans cet admirable recueil en quatre volumes que nous avons cherché les traces de Lionne, car tout y est plein de lui, tout y porte son empreinte.