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relire les belles études de notre collaborateur pour éviter de telles méprises. Sans doute, le premier ministre de Victor-Emmanuel avait eu une inspiration de génie quand le 10 janvier 1855 il avait fait accepter à l’Angleterre et à la France la coopération de l’armée sarde ; mais que de perplexités, que d’angoisses, du 10 janvier au 8 septembre 1855 ! heures sombres « où un ministre qui a joué avec la fortune n’a d’autre alternative que d’être perdu et honni comme un aventurier ou d’être un grand homme[1]. » Et plus tard, après la chute de Sébastopol, est-ce lui qui conduit la politique ? il souhaite comme l’Angleterre que la guerre se poursuive, et la paix est conclue. Plus tard encore, au congrès de Paris, que d’efforts, que de labeurs, avant qu’il parvienne à introduire les réclamations de l’Italie devant l’assemblée des états de l’Europe ! Tout cela fait le plus grand honneur au patriotisme, au courage, à la persévérance du comte de Cavour, mais encore une fois, si le comte de Cavour profite de tous les événemens pour le succès de sa cause, ce n’est pas lui à cette date qui fait mouvoir les fils de la politique européenne.

L’Histoire de la guerre de Crimée est une œuvre robuste qui se suffit à elle-même ; pourquoi donc les questions de l’unité italienne et de l’unité allemande viennent-elles offusquer les perspectives lumineuses de ce beau récit ? Je sais bien que c’est pour admirer plus à l’aise cette prodigieuse opération de guerre que M. Camille Rousset tient à la dégager de tout ce qui a suivi. Mieux valait dès lors ne pas soulever ce débat ; il suffisait de s’enfermer dans le récit de cette expédition, à laquelle rien ne ressemble et rien ne se rattache. Ou bien, si l’éminent historien voulait à tout prix dire ce qu’il pense des immenses changemens accomplis en Europe depuis la prise de Sébastopol, comment un esprit aussi exact n’a-t-il pas tenu compte des révélations que nous ont apportées les dernières années ? Quand il écrit ces mots : « Après l’unité italienne, l’unité allemande, c’est logique, » il répète les opinions courantes sans s’inquiéter des documens nouvellement mis au jour. Ceux qui aiment à y regarder de près savent aujourd’hui que le travail de l’unité allemande a précédé de longtemps le travail de l’unité italienne. Les cris des unitaires allemands, Pourtalès, Bunsen, Stockmar, ces cris de vengeance qui éclatent à la fin de 1850 et que de récens mémoires ont révélés au monde, ne laissent aucun doute à cet égard[2]. Non, ce n’est pas la guerre de Crimée qui a préparé

  1. Voyez la Revue, du 15 avril 1876, p. 874.
  2. Voyez, dans la Revue du 15 novembre 1873, les Humiliations de la Prusse en 1850, à propos de la correspondance de Frédéric-Guillaume IV et du baron de Bunsen. — Voyez aussi, dans la Revue du 1er novembre 1877, les Révolutions de 1848, à propos des Mémoires de Stockmar.