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« Je suis en règle avec M. Sardou, disait-il un jour, je viens de lire toutes ses pièces, mon dossier est prêt. » Si ses occupations multiples ne l’avaient pas contraint à se faire suppléer, on aurait vu une fois de plus combien il y a d’adresse et d’art caché dans cette parole si franche, dans ce talent si robuste ; n’a-t-il pas prouvé tout récemment à la chambre, en parlant de Voltaire, qu’il s’entend à mettre dans l’embarras ceux qui se flattaient de l’embarrasser ? Les plus habiles sont ceux qui ne se piquent pas de l’être.

M. Sardou a observé dans son discours toutes les convenances prescrites par le code du parfait académicien ; c’est une justice que peut lui rendre la statue de Sully, à laquelle il a paru s’adresser particulièrement. Cependant il ne s’est pas cru dans l’obligation de faire un discours académique, et l’assistance lui en a su beaucoup de gré. Son compliment à ses nouveaux confrères a été suffisant, quoique un peu court. — « Messieurs, leur a-t-il dit, une année s’est écoulée depuis le jour où vous avez daigné m’appeler à l’honneur de partager vos travaux, et s’il ne m’a pas été possible à mon grand chagrin de vous exprimer plus tôt ma reconnaissance, permettez-moi de penser que ce retard n’aura pas été sans profit pour la tâche que j’avais à remplir. » Nous ne sommes plus au temps où les récipiendaires se déclaraient indignes de l’honneur que leur avait fait l’Académie, en les invitant à venir s’asseoir dans un de ces quarante fauteuils qui ne sont pas des fauteuils ; leur modestie s’écriait, comme le doge de Gênes : « Ce qui m’étonne le plus ici, c’est de m’y voir. » Impériale Lescaro, doge de Gênes, s’étonnait à juste titre de se voir à Versailles ; il y était venu à son corps défendant, la corde au cou. Les nouveaux académiciens entrent à l’Académie de leur plein gré ; ils se sont crus dignes d’y entrer, et la seule chose qui pût les étonner, ce serait de ne pas s’y voir.

Au surplus n’ont-ils pas suffisamment acquitté leur dette envers la docte compagnie par toutes les peines qu’ils ont prises pour assurer le succès de leur candidature, par le mouvement qu’ils se sont donné, par les perplexités et les tracas qu’ils ont soufferts, par les démarches qu’ils ont imposées à leurs amis et à la femme de chacun de leurs amis ? Quand une fois le rêve du fauteuil académique s’est emparé d’une âme, c’en est fait, tout autre désir languit. Adieu le bonheur, la gaîté ; plus d’appétit, plus de sommeil, plus de chant. De toutes les passions humaines, c’est la plus inquiète, la plus agitée, la plus dévorante. Quoiqu’un grand poète ait dit que « l’escalier d’autrui est dur à monter, » on ne compte plus les marches, on se résigne à toutes les lassitudes, à l’essoufflement perpétuel ; on passe ses jours à faire des visites, on emploie ses nuits à faire des pointages. Oh ! qu’heureux sont les peuples étrangers, les Anglais, les Allemands, les Italiens ! S’ils connaissent la fureur du jeu, les fièvres de l’ambition, le trouble et les tourmens de l’amour, ils