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très haut. Avant 1848, lorsque nous n’avions en France que de l’argent pour régler nos comptes avec l’Angleterre et que le change nous était défavorable, la livre sterling a valu quelquefois chez nous jusqu’à 25,60 au lieu de 25,30 et 25,35, qu’elle ne peut plus dépasser depuis que nous avons l’or dans la circulation ; elle vaudrait aujourd’hui 20 francs avec l’argent au prix où il est. Du reste les Américains le savent bien eux-mêmes par leur propre expérience. Ils ont toujours eu à leur charge dans leurs rapports avec l’étranger la dépréciation des greenbacks, et le change a varié à leur préjudice selon l’importance de cette dépréciation. — Dans l’état des choses, il vaudrait mieux, pour un pays riche comme le leur, avoir le papier-monnaie que le métal d’argent. Avec le papier-monnaie, au moins on peut être sûr, si on a une administration sage et économe, d’en avoir un jour le remboursement en or et au pair : c’est ce qui serait arrivé en Amérique, sans le fameux Bland-bill ; tandis qu’avec le métal d’argent on a peu de chance de revoir le pair avec l’or, et il y en a beaucoup au contraire pour qu’on se trouve en face d’une dépréciation chaque jour plus grande.

Quand on réfléchit à ces conséquences, on ne peut pas croire que les Américains, qui sont après tout des gens pratiques, aient adopté sérieusement et définitivement l’étalon d’argent. Ils ont voulu lancer un ballon d’essai pour utiliser le produit de leurs mines, voir l’effet qu’il produirait dans le monde, et, quand ils seront bien convaincus que personne ne peut adhérer à leur projet de conférence, que le but qu’ils poursuivent est chimérique et contraire aux tendances actuelles de l’Europe, ils aviseront et feront probablement une nouvelle évolution monétaire, dans un sens plus rationnel et plus conforme au progrès. C’est ce que nous leur souhaitons dans leur intérêt. Et quant à nous, s’il ne doit pas y avoir de conférence internationale pour chercher à réaliser l’unité monétaire sur la base de l’étalon d’or, restons au moins dans la situation où nous sommes, et continuons à interdire la frappe de l’argent.


VICTOR BONNET.