Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/692

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Naïve, si l’on suppose que, sur une question si longtemps débattue chez nous et qui est aujourd’hui soumise à l’expérience, la lumière va nous venir tout à coup d’au-delà de l’Atlantique, ou présomptueuse, si l’on croit que l’exemple des États-Unis suffira pour entraîner les autres nations et les engager à faire le contraire de ce qu’elles veulent faire. Nous avons plusieurs fois, ici même, démontré que l’argent n’était plus l’instrument de circulation qui convenait aux pays riches et avancés en civilisation, qu’il était trop encombrant, trop lourd, difficile à manier, et qu’il fallait aujourd’hui des instrumens de plus de valeur sous un moindre volume. À ce point de vue, la supériorité de l’or est incontestable, et rien ne peut faire que cela change, à moins qu’on ne suppose que la civilisation va rétrograder.

Il y a une comparaison qui donne une idée exacte de la situation. L’or est aujourd’hui à l’argent, en fait d’instrument d’échange, ce que sont les chemins de fer aux diligences pour les moyens de transport et de locomotion. Y a-t-il quelqu’un qui puisse rêver que les diligences vont revenir en usage à l’égal des chemins de fer ? Évidemment, non. Tous les jours on étend le domaine de ceux-ci, on en construit là où il n’y en a pas, et, quant aux diligences, elles ne servent plus que comme moyen secondaire, là où les chemins de fer n’existent pas. Le même sort est réservé à l’argent ; il ne sera pas banni complètement de la circulation, mais on en fera de moins en moins usage, et il ne servira plus que comme monnaie divisionnaire, là où l’or n’a pas d’emploi. Chaque jour le démontre. La Banque de France a dans son encaisse, de 2 milliards et plus, pour 7 ou 800 millions d’argent ; elle fait tous les efforts possibles pour les répandre dans la circulation, elle donne des ordres en conséquence à toutes ses succursales, n’osant pas trop agir de même à Paris, au siège de son établissement principal ; ces efforts demeurent impuissans, les écus de 5 francs rentrent peu après être sortis, même dans les localités où l’on pourrait espérer les placer plus facilement, dans celles, par exemple, où il y a de nombreuses fabriques et des salaires d’ouvriers à payer. Ils sortent pour le paiement de ces salaires, et rentrent par le solde des billets des commerçans. C’est le contraire de ce qui se passait pour le tonneau des Danaïdes : celui-ci ne pouvait retenir l’eau qu’on y mettait ; les caisses de la Banque, elles, pleines d’écus de 5 francs, ne peuvent pas parvenir à se vider. Il y a même à ce sujet une particularité assez curieuse à citer, et qui montre à quel point on se pique d’être logique dans notre pays, dans les sphères les plus élevées de notre monde industriel. La chambre de commerce d’une grande ville, nous ne la nommerons pas, écrivait, il y a quelque temps, au gouverneur de la Banque de France