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Pélissier lui-même, Pélissier le terrible, en poussait un cri de joie : « Avec le général de Mac-Mahon, écrivait-il, je pourrai tenter certaines choses que franchement je croirais risquer aujourd’hui. » Glorieuse unanimité, quand il s’agit de tels suffrages ! Enfin, après que tout a été préparé de jour en jour, après que la bataille de Traktir (16 août), gagnée par les Français et les Sardes, a paralysé les forces de secours dans l’armée russe, il ne reste plus qu’à frapper le dernier coup. C’est le 8 septembre 1855 ; tous les officiers généraux, tous les chefs d’état-major ont réglé leurs montres dès le matin sur l’heure du quartier général. A midi, sans aucun signal particulier, les huit cents bouches à feu des alliés qui tonnent comme d’ordinaire s’arrêteront subitement, et l’assaut commencera. Vous savez ce qui suit : une lutte héroïque, un abattoir horrible ; des prodiges d’audace, des scènes épouvantables ; que de vaillans, victorieux ou vaincus, couchés sur la terre sanglante ! De part et d’autre, que de généraux illustres tués raide ou frappés à mort ! Mais la première brigade de la division Mac-Mahon a inauguré la victoire en s’emparant de la tour Malakof. C’est la clef de la place. Vainement les Russes s’acharnent-ils à la reprendre ; nos hommes sont résolus à ne pas lâcher prise. L’armée ennemie, appelée de toutes parts sur ce point, ne réussira pas à les déloger. Mac-Mahon a répondu à l’appel de son chef ; tous les deux, le commandant indomptable et l’intrépide lieutenant, ils ont saisi le taureau par les cornes et l’ont terrassé. Ainsi se termine le siège de Sébastopol ; la guerre de Crimée sera bientôt finie.


III

Au milieu de ce grand nombre d’acteurs, anglais, français, ottomans, sardes, à travers l’antagonisme des systèmes et les rivalités des personnes, la difficulté pour l’historien était de dire la vérité sans réticence comme sans passion. M. Camille Rousset s’est acquitté de cette tâche avec un tact irréprochable. Aucun des caractères qu’il met en scène ne se trouve altéré ni diminué ; on voit en relief l’irrésolution de celui-ci, l’impétuosité et la rudesse de celui-là, sans que ni l’un ni l’autre ait à se plaindre. Saint-Arnaud, Canrobert, Niel, Pélissier, figures militaires bien dissemblables à coup sûr ! Chacune d’elles pourtant, même la moins sympathique, a son genre de beauté, tant le patriotisme et le dévoûment couvrent tout. La physionomie du maréchal Vaillant s’éclaire aussi dans ces pages de lueurs inattendues. Cet esprit redouté, caustique, mordant, cet égoïste qui se souciait si peu de plaire, les documens les plus authentiques nous le montrent occupé sans cesse de concilier les opinions adverses, de calmer les amours-propres, de