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Et cependant, malgré tant de fautes, ce diable d’homme (on comprend bien qu’il s’agit du général Pélissier) a toutes les qualités que réclamait ce siège extraordinaire. Ce n’était pas seulement un siège, c’était la lutte continuelle de deux armées en présence, ayant chacune son camp retranché où elles se croyaient inexpugnables. Celle qui la première eût abandonné ses lignes se serait par là même déclarée vaincue. Au début, sans doute, le système de l’investissement pouvait offrir des avantages. Quand Pélissier prit le commandement, il n’y avait plus d’hésitation possible, il fallait nécessairement pousser devant soi, attaquer la place corps à corps, la conquérir pièce à pièce. Tel est dès le premier jour le plan du général en chef, et il s’y attache inflexiblement. Rien ne l’arrête, rien ne l’effraie ; aucune objection, d’où qu’elle vienne, ne le fera dévier. Si c’est le général Niel qui ouvre la bouche, il le menace « des dernières rigueurs. » Si c’est l’empereur qui lui exprime ses défiances sur l’efficacité de son plan, il le menace de se retirer. Avec cela, il a des souplesses singulières et comme des roueries de courtisan. En face d’un souverain qui a la superstition des souvenirs, l’idée lui vient d’engager sa grande partie le 18 juin. N’est-ce pas là un anniversaire provocant ? A quarante années de distance, de 1815 à 1855, quel contraste que celui-ci : Anglais et Français marchant ensemble sur Malakof et faisant payer aux Russes la revanche de Waterloo ! Beau rêve, mais ce n’est qu’un rêve. Pélissier est vaincu le 18 juin. Eh bien ! c’est alors que se montre toute l’indomptable énergie de ce caractère. Comme il a tenu tête à l’empereur, il tient tête à la fortune. Sa défaite n’ébranle pas sa foi, il est prêt à recommencer, en serrant l’ennemi de plus près ; il rectifie ses positions, il assure sa marche, et le jour où il forcera la victoire à couronner ce titanique labeur, ce sera bien le triomphe de la volonté.

Cependant, depuis l’échec du 18 juin, le mécontentement de Napoléon III s’est changé en irritation. Le 3 juillet, l’empereur écrit une dépêche qui substitue au général Pélissier le général Niel. Heureusement le ministre de la guerre, chargé de l’envoi de cette dépêche, la confie à la poste au lieu d’employer le télégraphe. Le lendemain, la nuit a porté conseil, et le maréchal Vaillant, profitant d’un sentiment de regret, s’empresse de redemander à Marseille la missive que le paquebot n’a pas encore emportée. « Elle est revenue ce matin, écrit le maréchal à la date du 6 juillet ; je la rendrai ce soir, elle sera livrée à la flamme de la bougie, et tout sera terminé. » Qui donc connaissait de tels détails avant les révélations de M. Rousset ? Personne assurément. La scène se jouait entre quatre acteurs : à Paris, le souverain et le ministre ; devant Malakof, le général en chef et le commandant du génie ; voilà les