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nous en donne encore la preuve. En 1809, la diligence met quatre jours à franchir la distance de Paris à Lyon. Pour aller à Toulouse, il ne faut pas moins de huit jours, encore n’est-on pas certain d’arriver. Pendant l’hiver, de novembre à mars, il arrive souvent que les voitures publiques s’arrêtent. Si les grands chemins ne deviennent pas tout à fait impraticables, on le doit au mode de construction qu’avaient adopté les ingénieurs du siècle précédent. Il avait été d’usage au temps de Trudaine de mettre en dessous de la chaussée une sorte de maçonnerie à pierres sèches de grosses dimensions, posées à la main, comprimées à la masse. Sur cette fondation solide, dont la surface était rugueuse, se nivelait une faible épaisseur de cailloux cassés. Faute d’entretien, cette dernière couche s’usa, disparut ; il n’y eut plus que les pierres de fond dont le volume était tel que les roues ne pouvaient les déplacer ; le roulage devenait lent, pénible ; du moins les voitures pouvaient encore circuler à petite vitesse. Ce qui est plus surprenant, les ingénieurs de l’empire avaient même oublié les bonnes méthodes de leurs prédécesseurs. Ils s’approvisionnaient de matériaux, lorsque des crédits d’entretien leur étaient accordés, aux carrières les plus voisines, sans souci de la qualité intrinsèque ; les cailloux n’étaient point cassés, et de fait les ornières étaient telles que des pierres de fort échantillon s’y logeaient sans peine. Ces réparations accomplies pendant deux ou trois mois d’hiver, l’approvisionnement de matériaux épuisé, il semblait qu’il n’y eût plus rien à faire jusqu’à la campagne suivante ; la chaussée se recouvrait d’une couche de boue, les ornières se reformaient à la première pluie, la route redevenait mauvaise jusqu’aux beaux jours du printemps.

Voilà quelle était la situation en France vers 1820. Le commerce avait repris beaucoup d’activité depuis la paix ; on voyageait, aussi le public se plaignait-il de n’avoir que de si mauvais chemins, d’autant plus qu’il était connu déjà qu’en Angleterre, grâce au talent d’un ingénieur nommé Mac-Adam, les routes étaient excellentes. Il y eut alors un engoûment universel pour le système inventé par cet Anglais dont le nom est resté associé depuis aux routes empierrées. On s’aperçut toutefois, lorsque la nouvelle méthode fut étudiée de près, qu’elle ne différait guère de celle inventée jadis par Trésaguet, ou mieux encore que l’ingénieur de la généralité de Limoges avait posé jadis, longtemps avant Mac-Adam, les vrais principes de l’entretien des routes.

Que l’on veuille bien nous permettre ici quelques explications techniques ; le sujet en vaut la peine. Casser des cailloux et les étendre dans les ornières d’une chaussée, c’est en apparence le travail d’un manœuvre ; il semble que le savoir, l’intelligence, n’aient rien à voir dans cette besogne. Cependant, si l’on considère que le