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retranché que représente Sébastopol ; l’investissement, ce serait une série d’opérations qui, après avoir permis de battre l’ennemi en rase campagne, au centre et au nord de la Crimée, permettrait d’envelopper toute la ville. Le général Niel, aide de camp de l’empereur, est pour l’investissement ; lord Raglan et le général Pélissier sont partisans de l’assaut. De l’un à l’autre système, Canrobert va et vient, trop indécis, trop scrupuleux peut-être, pour s’engager résolument. Quant à l’empereur, sous l’influence des rapports que lui envoie son aide de camp, il appuie le système de l’investissement et trace même tout un plan de campagne qui a pour but de détruire les communications entre Sébastopol et le nord de la Crimée. Les dissentimens deviennent si vifs, les contradictions si ardentes que lord Raglan refuse de s’associer au plan de l’empereur et de lui prêter ses troupes. C’est alors que Canrobert quitte si noblement le commandement en chef de l’armée française, heureux de conduire son ancienne division sous les ordres du général Pélissier. Pour vaincre ces difficultés perpétuellement renaissantes, pour résister à l’empereur ou ramener les Anglais, ce ne sera pas trop de l’homme que le maréchal Vaillant appelle notre Souvarof. Tout le détail de ces péripéties offre l’intérêt le plus neuf dans les pages véridiques de M. Camille Rousset.

Est-ce à dire que la nomination du général Pélissier en remplacement du général Canrobert va mettre fin aux luttes intestines ? Non certes, le caractère intraitable du nouveau commandant ne fera que rendre la situation plus aiguë. C’est le 16 mai 1855 que le général Canrobert a envoyé sa démission à l’empereur, c’est seulement le 8 septembre que Sébastopol tombera. Pendant ces quatre mois, le conseil de guerre voit éclater des orages qui ont leur contre-coup jusque dans le cabinet de Napoléon III. Entre le général Canrobert et le général Niel, il y avait eu parfois des dissentimens ; entre le général Niel et le général Pélissier, ce sont des scènes terribles. Si le général Niel, avec sa haute raison, avec son patriotisme dévoué, ne sentait pas que son devoir de soldat est de rester devant Sébastopol, sa dignité blessée l’obligerait à quitter la place. Pélissier n’admet pas la contradiction ; il menace, il maltraite quiconque n’est pas de son avis. « Dans une réunion qui a eu lieu hier (28 mai), écrit le général Niel au maréchal Vaillant, il m’a imposé silence avec une dureté inqualifiable… nous étions en présence des officiers anglais.. Je voyais son irritation, j’ai voulu éviter à tout prix une scène qui aurait rendu mes rapports avec lui impossibles. Ce matin, dans une réunion semblable, le général Beuret, de l’artillerie, à propos d’une observation des plus inoffensives, a été si grossièrement "maltraité que ses yeux se sont remplis de larmes et qu’il m’a demandé s’il pouvait rester à l’armée. » Peu de temps