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autorisé autrement que par les délibérations des paroisses. Enfin, en 1766, l’arrêt d’approbation fut obtenu. Ce mode de rachat des corvées se continua jusqu’en 1787 sans que rien y fût changé. Le Limousin lui dut d’avoir d’excellentes routes, car cette réforme permettait de faire faire l’entretien annuel par des ouvriers expérimentés au lieu de paysans insoucians, puisque la corvée se payait en argent plutôt qu’en nature. Ajoutons qu’un ingénieur d’un grand talent, Trésaguet, fut envoyé dans la généralité de Limoges à point pour tirer profit du nouveau régime que Turgot y venait d’établir.

Les méthodes de rachat de la corvée introduites en Normandie et dans le centre de la France par deux intendans de mérite ne s’étendirent pas à toutes les provinces ; l’administration centrale y répugnait, sans doute parce qu’elle ne croyait pas trouver partout les mêmes élémens de succès. Cependant il devenait nécessaire d’opérer une réforme générale. Que l’on étudie l’histoire politique de cette époque : il n’y a pas de sujet qui passionne davantage le public, qui suscite plus de mécontentement dans les classes inférieures de la société. C’est un thème d’inépuisables dissertations pour les écrivains politiques, pour les économistes, même pour les académiciens. Les philosophes prétendent que les corvées dépeuplent les campagnes, que les chevaux et les hommes y périssent de misère et de fatigue, que c’est un triste reste de la servitude antique : bruyantes déclamations qui dépeignaient le mal sans indiquer le moyen d’y remédier. Les ingénieurs, qui y regardaient de plus près et qui savaient bien que le pays ne pouvait se passer de bons chemins, étaient hostiles en général à la suppression du travail en nature ; à les entendre, il suffisait d’abolir les exemptions et de réduire le nombre des journées requises en assujettissant, par compensation, les privilégiés à un impôt équivalent. On sait par ce qui précède quelle résistance toute tentative de ce genre devait rencontrer de la part de la noblesse et de la magistrature. Turgot, devenu contrôleur-général, se résolut néanmoins à l’entreprendre. L’édit de 1776, préparé par lui, après de longues discussions avec Trudaine et Perronet, interdisait d’exiger des sujets du roi aucun travail gratuit ni forcé pour la construction des chemins ou pour tout autre ouvrage public ; une contribution spéciale imposée sur les propriétaires de bien-fonds, et dont le domaine royal n’était même pas exempt, devait couvrir la dépense d’entretien des routes. Cet édit fut précédé d’un long exposé des motifs où les abus du régime existant étaient blâmés avec une violence de pamphlétaire. Le contrôleur-général espérait par là opposer une barrière invincible à tout ministre qui proposerait de rétablir la corvée. Le but qu’il poursuivait ne fut pas atteint, on le sait. On sait aussi que le parlement de Paris, et à la suite tous les parlemens