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II.

Un caractère distinctif de l’administration royale avant 1789 est la pénurie constante du trésor public. Faute de crédit, les emprunts étaient à peu près impossibles. Soit ignorance, soit nonchalance, le fisc ne réussissait pas à atteindre, comme il le fait de nos jours, la richesse sous toutes les formes où elle se manifeste. On trouvait de l’argent pour soutenir une guerre, même pour couvrir des dépenses de luxe ; on en manquait pour les œuvres utiles. Il paraît vraisemblable que, pendant les dernières années de Louis XIV, les ponts et chaussées recevaient de 400 à 500,000 livres du trésor royal, plus, en chaque généralité, une somme variable de 8,000 à 15,000 livres, prélevée sur les ressources locales, plus le produit d’impositions extraordinaires attribué d’avance à certains ouvrages spéciaux. Le tout ne dépassait pas 1,300,000 livres. Même en tenant compte de la dépréciation qu’a subie la monnaie depuis cette époque, c’était bien peu, puisque la dépense actuelle des chemins vicinaux, des routes et de la navigation intérieure, sans compter les chemins de fer et les ponts maritimes, est au moins cent fois plus considérable. Aussi intendans et ingénieurs réclamaient-ils sans cesse. En cette extrême pénurie, la corvée était une ressource élastique dont on devait être tenté d’user avec excès.

Sous le régime féodal, la monnaie étant rare, rien n’était plus fréquent que le paiement de redevances en nature ; la corvée ou travail commandé (corrogata opera) en était une forme. Elle était due par le serf au seigneur, non point au roi ; mais en certains cas, en particulier pendant la guerre, par le seigneur au roi. D’autre part, c’est pour ainsi dire une maxime du droit naturel que le paysan peut être requis de donner assistance aux armées en marche. L’obligation subsiste de nos jours ; il y a toutefois un grand progrès : cette assistance n’est plus gratuite ; mais elle est si essentielle qu’une loi récente en a déterminé toutes les conditions. Il y a deux cents ans, la corvée existait sous cette double forme de redevance foncière et de réquisition militaire. En bon administrateur, Colbert n’aimait guère à s’en servir, parce qu’il en redoutait les abus. Cependant il arrivait souvent que les populations rurales fussent convoquées pour réparer les routes où le roi devait passer ; même en certaines provinces frontières, l’Artois, la Lorraine, l’Alsace, la Franche-Comté, il était d’usage que les chemins fussent entretenus par corvée.

Ce fut lorsque le marquis de Béringhen reçut du régent la direction générale des ponts et chaussées, avec la mission de développer les voies de communication en France, que les ressources