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jusqu’à 24 francs par mois : toujours d’avance ; ces hôtes-là ne sont pas de ceux auxquels on fait crédit. Cependant les locataires des cabinets représentent la catégorie la plus relevée de la clientèle des garnis, car au-dessous du cabinet il y a la chambrée, c’est-à-dire l’entassement dans un local plus ou moins étroit d’un nombre de lits aussi grand que le local peut en contenir, depuis quinze ou vingt dans une salle très basse jusqu’à quatre dans une soupente en mansarde, au-dessus desquels il n’y avait certainement pas un pied d’air. Tel est le spectacle qu’on a dans des garnis situés au centre de la ville dans l’ancienne cité, rue Quincampoix, rue Zacharie, rue de la Parcheminerie. Le prix de la nuit est de huit ou six sous ; dans certains garnis tout à fait misérables, on couche pour cinq sous. Dès onze heures du soir, une odeur nauséabonde prend aux yeux et à la gorge ceux-là mêmes qui n’en sont pas à leur première visite. Les lits sont généralement formés avec une paillasse et garnis de draps qui, malgré les mouvemens de la population, sont changés on ne sait quand. Dans ces draps, j’ai vu beaucoup de malheureux couchés sans aucune espèce de vêtemens pour ménager leur unique chemise ; d’autres couchent au contraire tout habillés dans l’intérieur d’un vieux bois de lit dont le fond est garni de paille et de chiffons. Quant aux prescriptions ordonnées dans l’intérêt des bonnes mœurs et de la décence, elles se bornent à l’interdiction de recevoir des femmes dans les chambrées d’hommes ; mais le logeur peut faire ce qu’il veut de son appartement, et il en profite. J’ai visité rue d’Arras un garni qui n’est à vrai dire que la chambre du logeur. Dans cette chambre, de dimensions très exiguës, neuf personnes étaient couchées : quatre locataires, le logeur, sa femme et trois enfans, dont une petite fille de douze ans couchée dans le lit du père.

Il y a là, on le voit, une organisation absolument défectueuse et déplorable. J’hésite d’autant moins à le dire tout haut, et avec l’espoir d’être entendu, que personne n’en est directement responsable et que d’ailleurs on se préoccupe de la modifier[1]. La législation qui régit les garnis est insuffisante. L’ordonnance de 1832, qui est encore en vigueur, ne donne aux inspecteurs d’autres droits que de surveiller les entrées et les sorties. Les questions d’hygiène leur échappent, et, lorsqu’un garni leur paraît par trop insalubre, ils ne peuvent que le signaler à la préfecture de police, qui elle-même le signale à la commission des logemens insalubres ; mais cette

  1. Ce travail était déjà sous presse lorsqu’a été affichée dans les rues de Paris une ordonnance nouvelle sur les garnis qui emprunte plusieurs dispositions à la législation anglaise et exige dans chaque local loué pour la nuit une capacité cubique d’au moins 14 mètres par personne. Mais, cette ordonnance ne statuant que pour l’avenir, l’état de choses que j’ai décrit subsistera longtemps encore.