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d’une existence vagabonde dont le dénoûment sera tôt ou tard la prison. D’ailleurs les magistrats n’ont pas toujours, et non sans raison, grande confiance dans l’efficacité de la condamnation qui serait prononcée contre l’enfant. Si elle est de courte durée, elle sera inutile ; s’il est envoyé pour plusieurs années dans une colonie correctionnelle, que vaudra le régime de la colonie, n’en résultera-t-il pas pour lui une flétrissure irréparable ? Aussi les magistrats du petit parquet remettent-ils en liberté jusqu’à trois fois et quatre fois l’enfant traduit devant eux sous l’inculpation de mendicité ou de vagabondage, et ce n’est que lorsque le délit tend à passer à l’état d’habitude qu’ils se décident à donner suite à l’instruction judiciaire. Parfois le tribunal devant lequel l’enfant finira par être renvoyé l’acquitte ou ne prononce qu’une peine très légère. Mis en liberté à l’expiration de cette peine, l’enfant sera encore arrêté deux ou trois fois avant d’être condamné de nouveau, et c’est ainsi que quelques-uns d’entre eux parviennent à réaliser avant l’âge de seize ans des chiffres d’arrestation qui au premier abord paraissent fabuleux. Si l’on veut se rendre compte du grand nombre d’enfans qui oscillent ainsi de la prison à la liberté, il suffit de se transporter une fois à la Petite-Roquette et de demander successivement à chaque enfant combien de fois il a été arrêté. Beaucoup d’entre eux seront hors d’état de vous le dire et se tromperont dans leur compte. Veut-on des chiffres précis ? Les voici : sur les 1,716 enfans qui en 1877 ont traversé le dépôt, 1,054 étaient arrêtés pour la première fois, 305 pour la deuxième, 151 pour la troisième, 70 pour la quatrième, 136 pour la cinquième, et plus. Enfin sur 161 enfans détenus le 1er  avril dernier à la Petite-Roquette, 49 seulement, soit moins du tiers, avaient déjà été arrêtés seulement une fois, 49 deux fois, 21 trois fois, 16 quatre fois, 15 cinq fois, et 21 plus de cinq fois dont 1 douze fois, 1 treize fois, 2 quinze fois, le tout, ne l’oublions pas, avant seize ans !

De ces chiffres, un peu arides, mais nécessaires, découle un premier résultat : c’est que les enfans arrêtés, puis mis en liberté, sans avoir été l’objet d’aucune mesure judiciaire constituent un élément nombreux, et en quelque sorte enrégimenté, de l’armée des petits vagabonds. Le nombre de ces enfans, comme nous venons de le voir, s’est élevé en 1877 de 12 à 1,300, et il n’y a pas lieu de trop distinguer dans le nombre ceux qui avaient été arrêtés sous la prévention de vagabondage et de mendicité ou sous le prévention de vol, car presque tous les enfans qui se livrent à de petits larcins, et qui sont remis en liberté parce que l’intention criminelle ne paraît pas au magistrat instructeur suffisamment déterminée, appartiennent à la catégorie des vagabonds, et par contre