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réparées d’une façon éclatante par la bravoure française et par la faveur de la fortune.

Ces fautes si franchement mises en relief dans l’impartial récit de l’historien, c’est la direction militaire qui en est seule responsable. Pendant les deux années qui précédèrent la déclaration de guerre, la diplomatie française avait montré autant de sagesse que de fermeté, autant de vigilance que de décision. La conduite des négociations fait le plus grand honneur à M. Drouyn de Lhuys. Quant aux préparatifs militaires, comment s’en expliquer l’insuffisance si l’on ne tient pas compte de certaines superstitions françaises, foi guerrière en notre courage et foi mystique dans notre étoile ? Toujours l’ivresse des légendes, les légendes de l’empire après les légendes de la révolution. Ce n’était pas ainsi pourtant que s’étaient accomplies les grandes choses en ces héroïques années. Combien de mois laborieux, que de prévisions, que d’arrangemens, quel souci acharné du détail avaient préparé en 1798 l’expédition d’Égypte ! Cette glorieuse tradition s’était retrouvée en 1830. Il faut voir chez M. Camille Rousset le tableau de cette journée du 25 mai 1830 où « la flotte française, sortie de la rade de Toulon, s’éloignait en pleine mer, dans l’ordre majestueux de ses longues et superbes colonnes. » Cet ordre attestait une conception puissante et une conduite supérieure, comme aux jours du général Bonaparte. Tous partaient ensemble, tous se sentaient plus forts. Au centre s’avançaient l’escadre de débarquement et l’escadre de bataille, à 4 milles sur la droite l’escadre de réserve, à 4 milles sur la gauche l’escadre de convoi. Aussi, « parmi les nombreux témoins accourus pour saluer ce magnifique départ, comme parmi les trente-six mille soldats emportés d’un seul coup, c’était le même sentiment de satisfaction, de confiance et de sécurité. Ils savaient les uns et les autres que rien n’avait été négligé pour le succès de l’expédition, ni le choix et l’instruction des hommes, ni l’armement et l’installation des navires, ni le matériel de débarquement, ni les engins de guerre, ni les approvisionnemens de munitions et de vivres, ni les précautions sanitaires, ni les moyens de communication et de transport, qu’en un mot rien ne manquait ; mais, pour atteindre à cette perfection relative, il n’avait pas fallu moins de trois mois d’une activité de jour et de nuit, prévoyante et réglée… » En 1854, c’est à peine s’il y a huit jours entre les premiers ordres et le premier départ. Bien petit, bien chétif, hélas ! ce départ du 19 mars 1854, si on le compare à celui de l’expédition d’Alger ! Et comment cette comparaison ne se fût-elle pas présentée, à beaucoup d’esprits ? Sur les trois navires qui sortaient du port de la Joliette, emportant les généraux Canrobert et Bosquet, le chef d’état-major général, le