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l’armée, il était désigné d’avance. Aussi, quand M. Thiers, après nos désastres de 1870, se préoccupa de relever le moral du soldat par une éducation appropriée, à qui s’adressa-t-il ? A l’auteur de l’Histoire de Louvois et du Comte de Gisors, à l’auteur des Volontaires et de la Grande Armée de 1813. « Vous savez, lui dit-il, ce qu’il faut aux lecteurs dans une armée française. Vous avez le goût, l’expérience, l’histoire vous a initié à tous les secrets de l’organisation militaire. Tracez-nous le programme d’une bibliothèque de régiment où soldats et officiers puissent entretenir le sentiment du devoir et l’amour de la patrie. » M. Camille Rousset se mit à l’œuvre et nous donna ces dix-huit volumes qui contiennent un choix de premier ordre parmi les classiques de la guerre, soit pour le génie. des maîtres, soit pour l’importance des événemens : ici, dans les lettres grecques, Xénophon et l’expédition des dix mille, Flavius-Josèphe et le siège de Jérusalem ; là, dans les lettres latines, César commenté par Napoléon, Salluste et Jugurtha. Dans les temps modernes, le XVIe siècle lui fournit l’histoire de Bayard par le loyal serviteur et les commentaires de Montluc, le XVIIe les Mémoires de Turenne complétés par le précis de ses guerres tracé de la main de Napoléon, le XVIIIe les Mémoires du maréchal de Berwick, les œuvres historiques de Frédéric, les campagnes d’Italie, d’Égypte et de Syrie racontées par le vainqueur d’Arcole et d’Aboukir. Une introduction brève et substantielle prépare le lecteur à recueillir les leçons si variées de ces belles œuvres. Quelle que soit la diversité des temps, les récits des anciens et les mémoires des modernes renferment un fonds commun. Il ne s’agit pas seulement de la tactique, il s’agit de ces grandes parties de l’art qu’on rassemble aujourd’hui sous le nom de stratégie, et qui, malgré les vicissitudes des âges, malgré les modifications des armes, demeurent toujours les mêmes. À ce point de vue, rien n’a changé depuis César. Et au-dessus de la stratégie, n’y a-t-il pas ce qu’on a pu appeler la partie divine de l’art, les qualités morales du chef auxquelles répondent les qualités morales du soldat, d’une part l’autorité, la décision, la vigilance, le sang-froid, de l’autre la discipline, la subordination, la résolution et la confiance ? Si M. Rousset a pu faire cette remarque à propos des Commentaires de César, on devine combien l’intérêt devra s’accroître dans sa bibliothèque moderne, depuis les tableaux charmans du loyal serviteur jusqu’aux sévères peintures du général Bonaparte.

Ce choix, ces introductions, l’esprit qui anime l’ensemble du recueil, tout cela répondait parfaitement à la pensée de M. Thiers. La vie littéraire de M. Camille Rousset avait trouvé là une récompense nouvelle et comme une consécration du rôle que lui assignaient ses travaux antérieurs. Malheureusement, une grande