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Qu’est-ce donc qui pousse M. Camille Rousset à rassembler en faisceau tant d’accablans témoignages ? Avons-nous affaire à un de ces esprits que l’idéal embarrasse, et qui, ne croyant pas à l’enthousiasme, prennent plaisir à détruire les héroïques légendes ? Bien loin de là, c’est le patriotisme qui l’inspire. Il veut expliquer pièces en main comment une armée se fait et se défait. Il l’a montré sous l’ancien régime, sous la révolution, il va le montrer sous l’empire. Cette armée qui en 92 n’a vaincu à Jemmapes et à Valmy que grâce aux cadres de l’ancien régime, cette armée détruite par les procédés révolutionnaires, reconstruite par Carnot et le général Bonaparte, honorée à jamais par le premier consul, enivrée de gloire par l’empereur, elle a péri dans les neiges de la Russie. Comment l’empereur, c’est-à-dire le génie même de l’organisation, va-t-il s’y prendre pour opposer des soldats à l’invasion menaçante ? Lui aussi, lui qui a dompté la révolution, il va essayer les moyens révolutionnaires, n’en ayant plus d’autres à son service ; il voudra improviser une armée. Mais on n’improvise pas les armées, c’est la grande leçon qui ressort de toutes ces études de M. Camille Rousset. Pendant la campagne de 1813, au milieu même des plus étonnantes victoires, les plaintes des généraux sur l’insuffisance de l’armée (l’ignorance, la tristesse, l’indiscipline, les désertions continuelles) répondent aux plaintes de Kellermann et de Carnot pendant la campagne de 1793. A vingt ans de distance, c’est le même concert de reproches. En 93, l’enthousiasme de la république soutenait çà et là de vaillantes natures, malgré la désorganisation générale ; en 1813, l’ascendant de l’empereur entraînait encore des régimens et les menait à la victoire malgré l’impossibilité de soutenir longtemps une armée composée de recrues. « Je ne puis supporter la vue de ces désordres, » écrivait Carnot en 93, et il priait la convention de le rappeler à Paris. « Je ne puis défendre la France avec des enfans, » murmurait Napoléon après les terribles journées de Leipzig, et il s’éloignait du champ de bataille accablé de pressentimens sinistres.

Pourquoi la France n’avait plus que des enfans en 1813, c’est une autre question que M. Camille Rousset n’avait pas à traiter. Dans ces deux rapports sur les volontaires et sur la grande année de 1813, rapports qui se tiennent étroitement et sont comme le pendant l’un de l’autre, l’auteur suppose l’histoire générale connue. Il n’a pas plus à parler des fautes de la république que des fautes de l’empire. Ses livres sont une enquête militaire, une instruction technique, mais une instruction vivante dont le patriotisme est l’âme. M. Camille Rousset se faisait donc de plus en plus une place à part comme historien spécial. Il avait la solidité des informations et la sagesse du jugement, avec un perpétuel souci de la grandeur de la France. Pour toutes les tâches qui intéressent la littérature de