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peintures à peintures, il a fait mieux, il a rédigé un rapport, et je ne sais rien de plus accablant que ce rapport pour la routine déclamatoire qui s’obstine à glorifier l’anarchie. « Les volontaires ne veulent s’assujettir à aucune discipline, ils sont le fléau de leurs hôtes et désolent nos campagnes… Nos volontaires sont toujours nus, à peine un soldat a-t-il des souliers qu’il va les vendre ; il en est qui vendent jusqu’à leurs habits, leurs fusils, brûlent leur poudre et insultent leurs concitoyens… l’esprit de cupidité fait tout, perd tout, et l’honneur n’est plus rien… Quant à nous, citoyens nos collègues, il nous est impossible de soutenir le spectacle de semblables désordres, et nous vous prions de nous faire rappeler au sein de la convention le plus tôt possible. » Qui donc parlait ainsi ? Deux membres de la convention délégués en 1793 aux armées du Nord, et l’un de ces deux hommes s’appelait Carnot. Oui, c’est le grand Carnot qui, dans une série de rapports tracés du mois d’avril au mois de juin 93, flétrissait en ces termes l’avilissement des volontaires. Bien d’autres voix s’unissent à la sienne ; tous les généraux, tous les chefs, tous les commissaires, tous ceux du moins qui ont vu les choses de près et qui ne se paient pas de mots, signalent les mêmes hontes. Il n’y a qu’un remède, disent-ils, l’amalgame des volontaires avec les troupes de ligne. Que les forcenés continuent à insulter la ligne, à exalter les volontaires, à réclamer la levée en masse, ils ont beau hurler dans les clubs, des hommes dévoués à la France et à la révolution reconnaissent enfin que l’amalgame (ou l’embrigadement comme on disait encore) est le seul moyen de salut. La convention vient d’entendre Carnot, elle entendra aussi Beurnonville, et Kellermann, et Dubois-Crancé. C’est l’évidence qui se fait jour dans leur patriotique langage, mais l’évidence même est suspecte à un peuple frappé de folie. Il y a des heures où le bon sens est un crime. Comment faire prévaloir des vérités d’expérience et de raison quand la populace est hébétée par les déclamations furieuses, quand le ministre de la guerre s’appelle Bouchotte ou Ronsin, quand les plus vils démagogues envoient à la guillotine des généraux victorieux ? Cependant, peu à peu, malgré les échafauds de Custine et de Biron, les plaintes des Carnot, des Kellermann, des Beurnonville, des Dubois-Crancé, des Merlin de Douai, des Gasparin, des Schérer, de vingt autres encore, finissent par dominer les stupides clameurs. Il n’y aura bientôt plus ni volontaires ni levées en masse. La convention, malgré les Jacobins, a décrété l’amalgame, le travail de restauration militaire s’accomplit de mois en mois. C’est le directoire qui rétablit les brigades, c’est le premier consul qui refait les régimens. La vieille tradition d’honneur qui a été la force de l’ancienne France se retrouve associée aux principes de la France nouvelle, sous, le drapeau d’Arcole et de Marengo.