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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

entrer dans la terre promise ? — Non, non, répondait l’incorrigible utopiste ; nous resterons sur le bord, je connais bien le peuple de Paris : il aime à faire un peu de bruit, j’en conviens, mais il est incapable de commettre une violence. Vous verrez, vous verrez ; avant deux mois, toute la France sera avec nous, et dans moins d’un an l’Europe entière, convertie par l’exemple de notre prospérité, aura proclamé la république. — Le jour où il causait ainsi avec un des hauts fonctionnaires de la Banque, il était souffrant et il demanda discrètement s’il pouvait faire venir un bain dans son cabinet. — Certainement, lui répondit-on ; prenez un bain, monsieur Beslay ; prenez même des douches, si vous voulez. — Il se mit à rire : — Vous me croyez fou ? Eh bien, je ne le suis pas, et je gage avec vous que l’avenir, un avenir très prochain, me donnera raison. — Tel était l’homme auquel la commune confiait le sort de la Banque de France. Il était convaincu que cet incomparable instrument de crédit serait utilisé pour le pliis grand bonheur de tous par l’état modèle qu’il apercevait au milieu de ses songeries et qui devait nécessairement sortir du trouble momentané que Paris traversait. On peut affirmer avec toute certitude que le 30 mars 1871, lorsque Charles Beslay se présenta muni de sa commission auprès du marquis de Plœuc, il était résolu à tout faire pour assurer le salut et le fonctionnement de la Banque. Il en devenait et en resta le protecteur. Il y eut peut-être quelque orgueil en cela. Toute sa vie, il avait rêvé d’être à la tête d’un grand établissement de crédit, car, à l’instar de lourde, il se croyait un excellent financier parce qu’il était un bon comptable, et il ne se sentait pas de joie d’être délégué, seul délégué à la Banque, et de saisir ainsi l’objet de sa plus haute ambition. La Banque devenait donc sa chose, et il sut, dans une circonstance grave, la défendre avec l’énergie d’un potentat qui ne veut point se laisser détrôner.

Le marquis de Plœuc, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, préférant Beslay à tout autre, puisqu’il n’avait pu repousser l’intrusion de la commune à l’hôtel de La Vrillière, et désirant le garder sous ses yeux, afin de pouvoir le surveiller plus facilement, lui proposa de prendre logement à la Banque et d’occuper l’appartement de M. Cuvier, le sous-gouverneur retenu en province pour affaires de service. Beslay refusa ; il demeurait alors rue du Cherche-Midi, et se contenta de demander qu’on lui réservât à la Banque même un cabinet où il pourrait venir travailler. M. de Plœuc l’installa dans un cabinet voisin du sien et put mettre immédiatement son bon vouloir et sa confiance à l’épreuve. Le gouvernement de Versailles, ne se rendant évidemment pas compte des dangers auxquels la Banque de France était exposée à Paris, continuait à tirer des mandats que le caissier central acquittait avec mille précautions, mais