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jeunesse a eu de nobles ambitions. Le souvenir du feu roi l’aiguillonnait. A regarder de près ces élans généreux, on regrette que le suprême et inflexible jugement de la postérité ne soit pas adouci dans son texte par quelques paroles de sympathie. C’est le sentiment qu’a éprouvé M. Camille Rousset en étudiant la jeunesse de Louis XV. Ennemi des sentences passionnées, qui sont toujours étroites et fausses, attentif à toutes les nuances, respectueux de toutes les vérités, il aime l’histoire exacte, incorruptible, la grande justicière « qui fait descendre Louis XIV de son olympe et tire Louis XV de ses bas-fonds. » Prenez garde, dira-t-on peut-être ; n’est-ce pas là un paradoxe ? N’est-ce pas le mauvais désir de relever ce qui est bas afin de mieux rapetisser tout ce qui nous dépasse ? Je réponds : Rien de pareil. La justice rendue à Louis XV dans les pages consciencieuses de M. Camille Rousset, bien loin de rien coûter à la grandeur de Louis XIV, ne fait que la replacer en pleine lumière. « Entre le bisaïeul et l’arrière-petit-fils, on avait mis l’infini en quelque sorte ; en diminuant la distance qui les sépare, on la rend plus sensible. Le premier, pour n’être plus une idole, un fétiche, n’en demeure pas moins un roi hors de pair ; on l’apprécie mieux en voyant les efforts, même inutiles, que le second a faits pour approcher d’un si grand modèle. »

C’est surtout dans le Comte de Gisors que se retrouve cette préoccupation constante de l’histoire de la société française à propos de notre histoire militaire. Voltaire, en son Précis du siècle de Louis XV, a écrit un magnifique éloge du comte de Gisors, il l’a montré « également instruit dans les affaires et dans l’art militaire, capable des grandes vues et des détails, d’une politesse égale à sa valeur, chéri à la cour et à l’armée. » Quand le comte de Gisors tombe frappé d’un coup de feu à la journée de Crevelt, il nous représente le vainqueur, le prince héréditaire de Brunswick, prenant soin du jeune héros avec la tendresse la plus touchante et le pleurant comme un frère. Le livre de M. Camille Rousset est le commentaire le plus complet de cette belle page. Il faut le rapprocher de ces autres pages non moins belles où Voltaire trace l’éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741, où il pleure la mort de Vauvenargues qui avait célébré lui-même l’héroïque trépas d’Hippolyte de Seytres. Au milieu de tous ces jeunes hommes dont la vertu, le dévoûment, la grâce austère et pure, arrachaient des cris d’admiration à Voltaire, une place particulière est due au comte de Gisors. En un siècle de petitesses, comme disait le poète du Mondain, il a eu la jeunesse la plus laborieuse et la plus tournée aux grandes choses. Il a fait voir, malgré la corruption générale, quelles étaient encore les ressources de la France. Il a prouvé que les peuples dégénérés, comme les familles déchues, pouvaient